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Guitare LiveMagazineGuitare Live N° 30La guitare dans tous ses états

La guitare dans tous ses états

Bien évidemment, il est possible de modifier certains paramètres (principalement le diapason - la longueur totale de corde vibrante à vide) afin d’adapter un instrument construit sur mesure à une main spécifique : allongement du diapason pour une main particulièrement grande ou diminution de sa longueur pour une petite main. L’espacement des frettes découlant d’une division du diapason, cette modification rapproche (ou éloigne) les cases les unes des autres (le diapason standard est de 65 centimètres)

L’espacement des cordes les unes par rapport aux autres est également un facteur d’importance dans le confort de la main. Il est possible de modifier un instrument après sa construction : une intervention sur l’espacement des rainures du sillet de tête est assez facile, un nouveau percement du chevalet, en revanche, est une opération plus lourde.

Ma recherche autour d’une guitare classique "aussi confortable que possible" m’a permis de tirer certaines conclusions importantes. Au sortir de divers tests effectués grandeur nature, notamment pour correspondre aux demandes de certains instrumentistes, j’ai constaté qu’une modification du diapason vers le bas n’est justifiée que pour une main particulièrement petite. Certains guitaristes aux mains "standards" pensaient gagner en confort sur un instrument au diapason de 64cm, les écarts entre les frettes se réduisant de plusieurs millimètres : ils ont, certes, gagné en facilité pour les écartements, mais le rapprochement des cases ayant une nette tendance à tasser les doigts les uns contre les autres, surtout pendant les accords et les liaisons, ils se sont trouvés confrontés à un jeu bien moins fluide : l’avantage est largement dépassé par l’inconvénient.

Autre exemple : des cordes rapprochées permettent, en théorie, un cheminement moindre pour les atteindre et se déplacer de l’une à l’autre… mais, là également, ce n’est pertinent que pour une petite main, le phénomène de tassement et de "compactage" de la main "standard" se retrouvant ici, avec les mêmes effets néfastes.

Il y a quelques décennies, certains luthiers se sont mis à construire des instruments de plus en plus grands. Ma première guitare de concert était une Contreras au diapason "monstrueux" de 66,5 centimètres… Cette mode, qui allait à l’encontre de la logique physiologique que j’évoque plus haut, visait à obtenir une puissance de son flatteuse. Mais cette lubie est vite passée, car la puissance apparente de l’instrument s’effondrait dans une salle de concert aux dimensions généreuses : le son d’une "grosse" guitare s’y altérait, tandis que celui d’une guitare plus petite conservait sa nature et portait, finalement, plus loin.

Ce phénomène s’explique en partie par le fait que les cordes répondent à certaines lois. Je les évoque dans mon article "Histoire des cordes : ne pas perdre le fil" - Guitare Live N°26, dont je vous livre ici un extrait :

"Attardons-nous un moment sur cet intéressant point :
Il y a un niveau de tension auquel une corde atteint sa meilleure efficacité sonore. Ce niveau est assez proche du point de rupture. En deçà de ce niveau, le son est mou, mat ou gras.

Plus la corde est longue, plus il faut la tendre pour atteindre ce point. Car, aussi étrange qu’il y paraisse, ce n’est pas le diamètre, mais la longueur de la corde qui détermine son point de rupture.

Pour obtenir une vibration plus lente de la corde, donc un son plus grave, sans perdre le niveau de tension déterminé ci-dessus, il faut augmenter le poids en mouvement – donc le diamètre de la corde. Mais cet accroissement du diamètre a ses limites, au-delà desquelles, malgré la tension fixe, le son devient terne, voire inaudible.

A l’époque des cordes "tout boyau", le problème était justement cette impossibilité de dépasser une certaine épaisseur de corde. La seule solution consistait à rendre la chanterelle aussi fine que possible, ce qui demandait une longueur accrue pour atteindre la bonne note (fréquence de vibration) tout en respectant la tension idéale.

Cela conduisit à la production d’instruments aux diapasons hypertrophiés et aux sonorités, malgré tous les efforts, assez inégales."

 

5) L'idéal serait-il que chaque guitare soit construite sur mesure pour chaque individu, en fonction de ses mains ? Cela rendrait-il la pratique de la guitare plus simple, plus abordable, plus efficace ?

Bien évidemment ! En fonction de ses mains, bien sûr, mais pas seulement : il y a une infinité d’autres paramètres dont il faudrait, toujours, tenir compte :

Ici aussi, je tiens à citer un extrait de l’article que j’ai consacré à Werner Schär, mon maître luthier, dans le N° 12 de Guitare Live ("Werner Schär, l’homme qui parle à l’oreille des guitares") J’y raconte ma rencontre avec lui lorsque, en tant que concertiste (avant d’avoir été formé par lui) je recherchais la "guitare de ma vie" :

Sans trop y croire, je revins vers Werner Schär.
Il me fit essayer un instrument – et ce fut un choc.
Je m’en souviendrai toute ma vie ; je rencontrais là tout ce que j’avais renoncé à trouver. Lui, pourtant, tel un opticien qui s’inquiète qu’un client essaye des lunettes qui ne sont pas adaptées à sa vision, était insatisfait : j’étais en train de jouer sur un instrument fait pour un autre.

Werner (Werni comme il souhaite être nommé) n’aime que le "sur-mesure". Il commence toujours par étudier le jeu du guitariste. Il s’imprègne de ses spécificités, il se fait expliquer et il observe les joies et les peines que le musicien éprouve avec sa guitare actuelle – afin de faire disparaître les peines et de permettre les mêmes joies sur l’instrument qu’il va construire. Il écoute les souhaits, examine chaque différence, fait une synthèse, propose des solutions, des bois (le guitariste qui passe commande choisit ses essences, ses décorations), des proportions. Chaque point est discuté et décidé en commun.

Mais il y a aussi des musiciens qui préfèrent confier toute la mission, tous les choix au luthier. Werni effectue dans ce cas le même travail d’observation préalable, puis fait appel à ses immenses connaissances de luthier et de guitariste pour créer l’instrument le mieux adapté aux souhaits et à la morphologie de son client.

Ensuite, il se lance dans la construction de l’instrument, et, du premier coup de rabot à la dernière touche de vernis (gomme-laque), il travaille spécifiquement pour le guitariste qui a passé commande – lequel assiste aux diverses étapes de la fabrication de son instrument et vient, de temps en temps, valider, essayer, voir, confirmer.

Il y a un préjugé très répandu auquel j’aimerais tordre le cou : celui par la faute duquel les débutants commencent, pour la plupart, sur une guitare bas de gamme. Il est totalement faux de croire qu’un novice n’entend et ne sent pas la différence.

Les dénominations commerciales, qui ne reposent plus sur aucun fondement pratique ou musical, achèvent de troubler le jeu : la désignation "guitare d’étude" par exemple, induit le client en erreur en lui laissant croire qu’il va acquérir un instrument spécifiquement développée pour un abord plus facile…

Mais il n'en est, hélas, rien. On nomme dorénavant "d'étude" une guitare bon marché. Grossier camouflage commercial pour un produit "bas de gamme", c'est-à-dire pour un instrument dont les matériaux sont pauvres (table contre-plaquée…), la sonorité lamentable, les réglages approximatifs, la lutherie grossière et, partant, le confort très médiocre...

Cela me rappelle les autos-écoles en France... sous prétexte que ce ne sont "que des élèves", on fait rouler les apprentis en guimbarde diesel… Dans d'autres pays, ils roulent en puissantes BMW, car une grosse voiture soignée est plus douce, plus facile, plus fidèle. Et quand le débutant appuie un peu sur le champignon, il mesure tout ce que l’engin comporte de potentiel ; prudence et motivation sont alors au rendez-vous.

Pour stigmatiser ma position, je dirais que l’on devrait débuter sur une guitare haut-de-gamme particulièrement douce ; ce serait une vraie "guitare d'étude" à mes yeux. Je suis formel : il y aurait moins de douleurs et moins de renoncements...

Publié dans le magazine N° 30 de Juillet 2007


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