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Guitare LiveMagazineGuitare Live N° 12Werner Schär, maître luthier suisse

Werner Schär, maître luthier suisse

L’homme qui murmure à l’oreille des guitares

Que mon second article pour Guitare Live soit consacré au maître luthier suisse Werner Schär n’est pas un hasard. C’est, sciemment, un hommage à cet homme d’exception auquel je dois ma vie de luthier.

Je vous propose de découvrir aujourd’hui son atelier et son histoire avec une petite interview en conclusion. Dans les prochains numéros de Guitare Live, nous irons à la rencontre de grandes figures de la guitare classique, et cet article en est le préambule.

Nous nous sommes rencontrés une première fois en 1989. J’étais un très jeune guitariste. Son accueil et ses instruments m’impressionnèrent, mais je n’étais pas en quête. Ce fut juste une visite polie et agréable.

Quelques années plus tard, je dépassai les capacités de ma fidèle Contreras. L’achat d’un instrument de concert était devenu indispensable (je savais qu’une guitare de ce rang allait catapulter mon propre niveau à des hauteurs que mon instrument d’alors ne permettait pas d’atteindre…)

Je rendis visite aux luthiers français, espagnols, allemands, suisses, tchèques etc., à la recherche de l’instrument qui m’accompagnerait pour les décennies à venir. Mes parents me soutenaient entièrement, et, bien que les temps ne soient pas particulièrement fastes, ils étaient prêts à dépenser la somme nécessaire, ce qui motivait les luthiers et les vendeurs de tout crin que je rencontrai à me confier leurs meilleurs instruments.

Hélas ! Je désespérais de trouver ce que je cherchais.

Il manquait toujours quelque chose aux guitares que j’essayais, et j’en vins, orienté par les vendeurs déçus, à la conclusion que ce que je recherchais n’existait tout simplement pas, et qu’il ne me restait qu’à m’adapter aux instruments existants.

Sans trop y croire, je revins vers Werner Schär.

Il me fit essayer un instrument – et ce fut un choc.

Je m’en souviendrai toute ma vie ; je rencontrais là tout ce que j’avais renoncé à trouver. Lui, pourtant, tel un opticien qui s’inquiète qu’un client essaye des lunettes qui ne sont pas adaptées à sa vision, était insatisfait : j’étais en train de jouer sur un instrument fait pour un autre.

Werner (Werni comme il souhaite être nommé) n’aime que le "sur-mesure". Il commence toujours par étudier le jeu du guitariste. Il s’imprègne de ses spécificités, il se fait expliquer et il observe les joies et les peines que le musicien éprouve avec sa guitare actuelle – afin de faire disparaître les peines et de permettre de retrouver les mêmes joies sur l’instrument qu’il va construire. Il écoute les souhaits, examine chaque différence, fait une synthèse, propose des solutions, des bois (le guitariste qui passe commande choisit ses essences, ses décorations), des proportions. Chaque point est discuté et décidé en commun.

Mais il y a aussi des musiciens qui préfèrent confier toute la mission, tous les choix au luthier. Werni effectue dans ce cas le même travail d’observation préalable, puis fait appel à ses connaissances de luthier et de guitariste pour créer l’instrument adapté aux souhaits et à la morphologie de son client.

Ensuite, il se lance dans la construction de l’instrument, et, du premier coup de rabot à la dernière touche de vernis (gomme-laque), il travaille spécifiquement pour le guitariste qui a passé commande. Le musicien peut assister aux diverses étapes de la fabrication de son instrument et vient, de temps en temps, valider, essayer, voir, confirmer…

C’est un processus long, auquel on se prépare en conséquence. Lorsque arrive le jour tant attendu où l’instrument terminé passe aux mains de son propriétaire, c’est une consécration inoubliable, aussi bien pour le guitariste que pour le luthier.

Werner Schär (en amoureux avec sa femme Cecilia) inspecte des troncs d’épicéa

Découpe d’une bille de cerisier (pour fond et éclisses).
Ce bois sera utilisé d’ici 20 ans au plus tôt, probablement par les génération futures

Werni choisit des éclisses parmi un assortiment séché en atmosphère contrôlée depuis au moins 30 ans (donc hérité des générations précédentes)

C’est à peu près à l’époque de cette seconde rencontre, en 1993, que le film "Un cœur en hiver" de Claude Sautet fit naître en moi une passion dévorante pour la lutherie. Je lus tout ce qui se trouvait sur le sujet et recommençai, en vain, ma tournée des luthiers européens. Tous refusèrent de m’apprendre leur métier… sauf Werner Schär. C’est ainsi que commença réellement notre amitié – et ma carrière parallèle de luthier. Je fus son premier (et, longtemps, son unique) élève.

Publié dans le magazine N° 12 de Décembre 2005


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