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Guitare LiveMagazineGuitare Live N° 30La guitare dans tous ses états

La guitare dans tous ses états

Par ailleurs, le guitariste, comme tout musicien, doit gérer, pendant qu’il joue, une quantité exceptionnelle d’informations et de paramètres simultanés : en sus de toutes les activités perceptives, réactives, analytiques, sensorielles, émotives, mathématiques, instinctives et réflexes imaginables, nous pratiquons une gestion complexe de la motricité, du repérage topologique, du contrôle rythmique - sans oublier un important travail de création instantanée, basé sur les émotions, les sentiments, la culture, la réflexion intellectuelle tant empirique que cartésienne.

J’en passe et non des moindres, par exemple la gestion "en avance" (à la manière d’un joueur d’échec) d’une partition et/ou de celles d’autres instrumentistes…

Voilà qui explique que les musiciens mettent à contribution le plus grand pourcentage des facultés cérébrales humaines…

 

2) Il est fréquent que les guitares pour gauchers soient plus chères que les autres - pourquoi ?

Pour commencer, je me dois d'exposer brièvement ma position dans cet éternel débat : l’invention récente des guitares pour gauchers est-elle pertinente, est-elle une évolution indispensable ou un chichi contemporain destiné à flatter ceux qu’on a, trop longtemps, discriminés ?

Je cite l’introduction de ma Série Amidala (Guitare Live N°11) :

"Il y a des détracteurs des deux points de vue, et tous ont plus ou moins raison. Ce sujet a déjà été largement traité, sans véritable conclusion, mais voici mon opinion : au début, les deux mains sont pareillement maladroites, et il s'agit de les coloniser toutes deux, de manières différentes, car à ce stade, aucune d’elles n'est privilégiée dans une position plus que dans l'autre.

Les instruments ont été développés avec une géographie propre, que l'on a adaptée, au cours des siècles, à la logique physique du corps, autant que l'on a, dans cette recherche, adapté la technique des mains à la configuration de l'instrument.

On n’envisage pas de transformer chaque instrument de musique : un piano avec les aiguës à gauche, une flûte au doigté renversé, un violon joué à droite. Je pense que le confort psychologique offert par une guitare adaptée à droite peut être important, mais coûte un "prix" disproportionné : ne plus pouvoir jouer (une fois la colonisation des mains effectuée) sur la plupart des autres guitares, devoir faire transformer celles que l’on choisit (car il ne suffit pas d’encorder la guitare "dans l’autre sens", le chevalet, dans lequel le sillet n’est pas en angle droit, doit être également modifié…) et se retrouver, une fois de plus, dans une position "anormale", alors qu’être gaucher ou droitier devrait aller de soi…

Je pense sincèrement qu’il a des droitiers qui se sentiraient plus à l’aise avec une guitare "de gaucher", si on leur proposait d’essayer !

Donc, je parlerai, tout au long de cette série de cours, d’une main droite qui pince les cordes et d’une main gauche qui joue sur le manche. Aux gauchers (ou droitiers !!) préférant jouer dans l’autre sens de replacer mentalement les mains dans la position de leur choix."

Pour en venir au coût des guitares "gauchères"… Si l’instrument est construit depuis le début dans cette optique, il n’y a aucune raison pour que son prix soit supérieur. Si il l’est, c’est une différence purement commerciale que l’on se doit de contester.

En revanche, il est normal qu’il y ait un surcoût si l’instrument doit être adapté ultérieurement, car l’opération, selon les cas et selon la précision souhaitée par le client, peut être assez lourde.

Voici les paramètres à observer :

Tout d’abord, comme je l’évoque plus haut, il faut prendre en considération le fait que, dans la plupart des cas, la rainure qui accueille le sillet de chevalet est compensée selon un angle qui permet à la 6ème corde (la plus grave) d’être plus longue d’un millimètre que la 1ère. Seules certaines guitares très bon marché font l’impasse sur ce point qui assure la justesse de l’instrument, mais attention, c’est alors, bien souvent, le chevalet entier qui est posé selon cet angle, afin d’assurer, quand-même, la compensation…

Il existe deux manières de modifier un chevalet compensé avant de pouvoir inverser les cordes :

a) La plus drastique (et, logiquement, la plus chère) consiste à retirer le sillet, combler la rainure, et fraiser une nouvelle gorge dans l’angle inverse.

b) L’autre solution consiste à construire un sillet compensé : en utilisant toute la largeur de ce dernier (environ 2 millimètres) il est possible de placer la crête sur laquelle reposent les cordes non au milieu, mais aux bords ad hoc du sillet. Cette opération ne permet pas d’obtenir une précision parfaite, mais elle constitue un compromis abordable.

Cependant, l’angle du sillet de chevalet n’est pas la seule chose à prendre en compte :

Les mécaniques doivent également être inversées.

Dans la plupart des cas, les rainures du sillet de tête sont à refaire. Sur les instruments bon marché, ces rainures ont, toutes, la même largeur, rendant cette opération superflue : mais sur un instrument un tant soit peu soigné, la rainure destinée à accueillir la corde aigüe est beaucoup plus étroite que celle destinée à accueillir la corde grave. Selon le degré de précision désiré par le client, on peut se contenter d’élargir les sillons les plus étroits (mais les cordes fines flotteront dans leur réceptacle, ce qui est néfaste - voir mon article "Le sillet de tête sur une guitare classique", Guitare Live N°27) ou décider de changer tout le sillet de tête et d’en créer un nouveau, adapté à la configuration "à gauche"… là aussi, l’intervention devient beaucoup plus lourde.

Pour finir, il faut tenir compte de l’architecture de certains instruments : l’épaisseur de la table peut varier d’un millimètre entier entre le côté des basses et le côté des aigües ! De plus, il n’est pas rare de voir l’épaisseur des barres en éventail varier d’un côté à l’autre, voire de rencontrer un barrage asymétrique… dans tous ces cas, il s’agit de différences structurelles qui rendent impossible toute modification. L’instrument ainsi construit serait définitivement bâtard et déséquilibré en cas d’inversion gauche/droite.

 

3) Imaginons qu'une personne n'ait plus l'usage de sa main gauche, mais veuille jouer de la guitare avec la main qui lui reste : quelle technique devra-t-elle adopter ? quel type de guitare devra-t-elle utiliser ? Et surtout, réussira-t-elle à faire de la "belle" musique ?

Problématique aussi intéressante qu’originale…

Je suis persuadé que cette personne arrivera, très rapidement, à développer des procédés propres lui permettant de jouer de la "vraie", de la belle musique, sans aucune modification structurelle de l’instrument.

Sans aller à la rencontre de solutions aussi extrêmes que celle de jouer avec ses pieds (chose tout à fait possible mais nécessitant un long entrainement – il existe de nombreux artisans amputés des bras qui ont obtenu, à force de labeur, une précision de leurs orteils comparable à celle de leur doigts) je vois, d’ores et déjà, diverses techniques applicables, d’emblée, à n’importe quelle guitare :

Les cordes à vide ne produisent que six sons… cela permet peu de fantaisie dans le cadre de l’accordage standard, mais laisse la porte ouverte à toutes sortes d’accordages différents, permettant de disposer d’une palette sonore évolutive tout à fait correcte.

La technique de main droite des harmoniques artificielles, appliquée aux points où se produisent les harmoniques naturelles, invite à la recherche de tout un panel de sons différents qui, combinés aux accordages alternatifs proposés plus haut, permettent d’engendrer un monde musical d’autant plus fascinant qu’il reste à inventer.

Si la guitare est amplifiée voire électrique, on peut faire appel à diverses techniques spécifiques, telles le Tapping.

Je connais le cas d’un guitariste droitier qui, après avoir perdu la plupart des capacités des doigts de sa main gauche, n’a pas hésité à inverser sa guitare – ici, la notion de guitare pour gaucher prend un sens incontestable – et à complètement reconvertir sa main droite : celle-ci est devenue tout à fait efficace sur le manche, tandis que sa main gauche joue au médiator.

On peut également imaginer des modifications importantes de l’instrument, selon les pathologies et selon les trouvailles de chacun. On peut, dans cet esprit, envisager de multiplier les cordes pour s’approcher de la technique de la harpe ou de la cithare, avec un son de guitare.

Publié dans le magazine N° 30 de Juillet 2007


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