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Guitare LiveMagazineGuitare Live N° 26L'histoire des cordes : ne pas perdre le fil…

L'histoire des cordes : ne pas perdre le fil…

De l’influence du diamètre et de son explication théorique

L’épaisseur voulue pour chaque corde était déterminée par le nombre et la largeur des lanières de boyau entrelacées. Cela signifie donc que, dès cette époque reculée, on avait déterminé les équations selon lesquelles calculer le diamètre des cordes pour obtenir la note voulue. Les connaissances qu’avaient, dans ce domaine et dans d’autres, des fabricants de l’époque, sont proprement surprenantes.

Avant l’apparition des cordes filées, qui permirent d’obtenir un poids supérieur sans augmentation du calibre, la largeur des cordes diminuait régulièrement de corde en corde, de la plus épaisse (la plus basse) à la plus fine (la chanterelle, bien plus mince qu’une actuelle corde "mi" aigüe en nylon).

Attardons-nous un moment sur ce point très intéressant :

Il y a un niveau de tension auquel une corde atteint sa meilleure efficacité sonore. Ce niveau est assez proche du point de rupture. En deçà de ce niveau, le son est mou, mat ou gras.

Plus la corde est longue, plus il faut la tendre pour atteindre ce point. Car, aussi étrange qu’il y paraisse, ce n’est pas le diamètre, mais la longueur de la corde qui détermine son point de rupture.

Pour obtenir une vibration plus lente de la corde, donc un son plus grave, sans perdre le niveau de tension déterminé ci-dessus, il faut augmenter le poids en mouvement – donc le diamètre de la corde. Mais cet accroissement du diamètre a ses limites, au-delà desquelles, malgré la tension fixe, le son devient terne, voire inaudible.

A l’époque des cordes "tout boyau", le problème était justement cette impossibilité de dépasser une certaine épaisseur de corde. La seule solution consistait à rendre la chanterelle aussi fine que possible, ce qui demandait une longueur accrue pour atteindre la bonne note (fréquence de vibration) tout en respectant la tension idéale.

Cela conduisit à la production d’instruments aux diapasons hypertrophiés et aux sonorités, malgré tous les efforts, assez inégales.

 

Cordes filées

L’apparition des corde recouvertes d’un fil métallique (divers métaux furent explorés : cuivre, argent, or - de nos jours, on utilise, dans la plupart des cas, un fil de cuivre recouvert d’argent) change cette donne de manière radicale : il devient possible de raccourcir les diapasons, d’augmenter le diamètre des cordes aigües et de donner aux basses une puissance et une brillance dont on n’osait pas même rêver jusqu’alors.

Cela induisit de nouveaux rapports entre le diamètre, l’élasticité, la longueur et la tonalité des cordes – et ces rapports s’approchèrent très vite de ceux que nous connaissons actuellement.

Au tout début, on filait une simple corde en boyau. Là aussi, divers autres matériaux furent étudiés et essayés : soie, métal…

L’opération demandait (et demande, de nos jours encore !) un doigté particulier : il faut déterminer la tension idéale à imposer à la corde qui va recevoir le filage (que l’on nomme "âme") Si cette tension est trop faible, l’étirement de la corde lors de son montage sur l’instrument va provoquer l’écartement de la minuscule spirale formée par le fil métallique ; si la tension est trop forte, la rétraction au moment du montage va provoquer le tassement de ce même filage… dans un cas comme dans l’autre, le résultat est catastrophique pour le son et la longévité de la corde.

Divers procédés mécaniques furent développés au cours des âges. De nos jours encore, la main de l’homme intervient dans la construction de chaque corde…

 

Nylon !

L’apparition des cordes en nylon, la plus grande avancée dans le domaine qui nous intéresse depuis l’apparition du filage, est le fruit du travail et de la rencontre de deux grands hommes : Albert Augustine et Andres Segovia.

Albert Augustine, né au Danemark en 1900, émigre aux USA en 1926 pour y poursuivre son œuvre de luthier. Ses instruments étant de grande qualité, ses affaires vont rapidement bon train.

Parallèlement, Andres Segovia se voit proposer, par un Général anglais, avec lequel il avait évoqué la pénurie de bonnes cordes, l’essai d’un fil de nylon construit par DuPont de Nemours à l’usage des parachutes de l’armée.

À l’époque, le nylon est une matière toute neuve, inventée le 28 février 1935 par Wallace Carothers (alors ingénieur chez DuPont de Nemours, l’entreprise de chimie américaine pionnière dans le domaine de polymères) : Segovia monte cette corde sur sa guitare et subodore une trouvaille décisive… cependant, le son n’est pas totalement agréable, et le grand guitariste espère – et souhaite – ardemment une amélioration.

Peu de temps après, en 1946, un ami commun d’Augustine et Segovia, le journaliste Vladimir Bobri, organise leur première rencontre. En voyant la corde de mi en nylon montée sur la guitare de Segovia, Augustine se rappelle avoir mené quelques essais avec des fils de nylon émanant d’un surplus de l’armée, sans se sentir pourvu de la pertinence et de la compétence qu’il croit nécessaires à l’approfondissement du sujet.

Mais Segovia, qui a reçu une réponse négative de la part de DuPont de Nemours (l’entreprise n’a pas l’intention de se lancer dans le développement et la commercialisation de cordes musicales, mais accepte de fournir la matière première à quiconque désire se lancer dans une recherche sérieuse), réussit à convaincre Augustine dès leur seconde rencontre. C’est ainsi que le luthier se lance dans trois années de labeur intense et solitaire, sous le regard sceptique des experts spécialistes.

Mais au bout de ces trois années… Augustine demande à DuPont de réunir ses experts et trois guitaristes afin de tester : corde en boyaux, fil de nylon industriel et corde en nylon construite par ses soins. Le résultat est sans appel : son travail fait l’unanimité et impressionne la grosse industrie – qui lui apporte, dès lors, un vrai soutien institutionnel.

On envoie les cordes à Segovia. Celui-ci est en concert à Washington. Le destin veut que la chanterelle de sa guitare se brise avant le concert et qu’il monte directement la corde fabriquée par Augustine. Son enthousiasme est tel que, dès la fin du concert, il court dans sa chambre et s’enferme des heures durant pour se livrer à l’exploration de ces sonorités et de ces caractéristiques inespérées.

L’intense travail d’Albert Augustine se porte alors sur les cordes filées. Il y passe tout son temps, mène toutes sortes de tentatives, étire, polit, mélange, enroule toutes sortes de matières… et finit, là également, par trouver les solutions et les procédés qui permettent au nylon de devenir le nouveau standard mondial. Il utilise une âme constituée de nombreuses et très fines fibres de nylon, proches de la soie.

L’amitié et la fidélité de Segovia accompagneront toute l’œuvre d’Augustine. On trouve, de nos jours encore, le visage encourageant du grand guitariste sur l’emballage des cordes de la marque.

En 1956, Segovia signe son enthousiasme à l’intérieur d’une guitare de sa collection, un instrument de très haut vol construit par Augustine – auquel il avait, par ailleurs, commandé une guitare qui restera, hélas, à l’état d’embryon (une table en épicéa) suite au premier infarctus du grand luthier, en 1948.

Albert Augustine succombe en 1967 à une seconde crise cardiaque. Sa femme Rose restera à la barre et conduira l’entreprise vers le succès mondial qu’on lui connaît aujourd’hui.

 

Publié dans le magazine N° 26 de Mars 2007


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