Tu m’as dit que lors de l’enregistrement de cet album,
on t’a laissé « Koshmanniser » les guitares.
Ca a l’air d’être une sorte de victoire ?
C’était pendant un enregistrement avec Laurent Voulzy. Michel
Curio m’a dit qu’il enregistrait les maquettes pour le prochain
album d’Alain et qu’il aimerait que je bosse dessus. Il y
avait « L’amour à la machine », « Voir
sous les jupes des filles » et « Foule sentimentale ».
C’était des versions un peu « désincarnée
» d’Alain sur une guitare mal accordée, et déjà
c’était énorme. Pour citer une anecdote, sur «
L’amour à la machine », je me rappelle qu’on
avait essayé plein de trucs. Alain voulait une guitare lead, j’ai
une version où y’a même de l’accordéon
et des percus africaines. Un jour, j’avais un Dobro dans un coin,
je me suis dit que j’allais essayer de faire un truc avec. Donc,
on fait une prise. A la fin, je dis que je la recommence car je n’étais
pas satisfait de la partie. Et là Michel Curio me dit que je faisais
ce que je voulais, mais qu’il gardait cette prise-là. Et
c’est là l’intelligence de la production de Michel,
c’est qu’il arrive vraiment à capter les choses. Et
c’est vrai que ce moulinet avec le Dobro, ça correspondait
bien à cette image de machine qui tourne. C’est un peu comme
la partie orientale de « c’est déjà ça
». J’ai dis que je savais jouer du oud, c’était
absolument faux…on m’en avait prêté un, je l’ai
accordé à ma manière et j’ai joué en
apportant ma touche. J’ai vraiment l’impression que les parties
de ses chansons, en quelque sorte, m’appartiennent. Et pour revenir
à ta précédente question, je pense que c’est
ce qui explique cette fidélité entre Alain et moi.
Entre scène et studio, le cœur des guitaristes balance
souvent, avec sans doute une préférence pour la scène
et le contact avec le public. C’est ton cas ?
Les deux apportent des choses différentes. Quand on me pose la
question en master class, je compare souvent ça à la différence
entre un acteur de cinéma et un acteur de théâtre.
Quelque part, quand on est sur scène, on n’a pas de deuxième
chance. Et en même temps, on a une sorte de feedback immédiat
de la part du public. Si on envoie un truc du fond du cœur, en général
les gens le sentent aussitôt. Quand on est en studio, c’est
comme un acteur de cinéma. On peut recommencer, peaufiner. Il faut
être conscient qu’on doit provoquer une émotion à
un instant donné, il faut être très précis
dans les intentions.
Des anecdotes de scène t’ont marqué ?
Des anecdotes, j’en ai plein. Je me rappelle de la première
de Birkin au Casino de Paris, c’était juste après
la mort de Serge Gainsbourg. Elle avait une telle panique sur scène,
elle est toujours très paniquée sur scène, moi aussi
! Mais il faut arriver à transformer ça en une sorte d’énergie.
Donc je me rappelle d’un morceau, d’ailleurs assez mineur
de Jane, qui s’appelle « Litanie en Lituanie » et sur
lequel je jouais un solo. Et ce jour-là, perméable au trac
de Jane et à toute cette pression, j’ai joué mon solo
et, chose rare, toute la salle a applaudi. Pourtant, c’est vraiment
pas le trip des concerts de Jane, mais il y avait quelque chose, une émotion
qui était passée. Parfois en concert, quand on joue avec
des musiciens qu’on aime bien, on a l’impression, et on le
sent tous, que la scène monte de deux mètres. Pour donner
une image, dans ces moments, ça me donne l’impression qu’on
a tous un fil au-dessus de la tête et qu’on est relié
à la même chose.
A l’inverse, tu as sans doute vécu des moments où
tu aurait préféré être ailleurs que sur scène.
Bien sûr, avec des pains, des choses pas en place. Le matos peut
même s’en mêler. Je me rappelle d’un soir, toujours
en tournée avec Jane, c’était pour le premier rappel
on jouait la chanson « amour défunte ». Ca commençait
avec une grosse note grave de synthé, j’entrais tout seul
sur scène et je jouais un solo avec, aux lumières, la poursuite
sur moi. Et ce jour-là, j’entre sur scène, je commence
le solo et là, aucun son, rien qui sort ! Il faut m’imaginer,
seul sur scène avec le projo sur moi et m’agitant pour essayer
de comprendre ce qu’il se passait, le morceau qui démarre
sans moi. C’était vraiment ridicule. Je me suis aperçu
après coup qu’en prenant ma guitare, j’avais éteins
un des éléments de ma chaîne et donc le son était
coupé. C’est vrai que ça arrive souvent, ce genre
de chose. Un jour, pendant la tournée des Enfoirés, je me
suis retrouvé dans le bus à coté de Jean-Jacques
Goldman, et il m’a dit un truc très drôle : «
Michel Yves, on sait que vous jouez bien, ça je m’en fous,
mais ce qui me sidère c’est…comment faites-vous pour
rattraper toutes les conneries qu’on fait ? ». Et c’est
vrai que pendant la tournée des Enfoirés, il a fallu souvent
rattraper à la volée toutes les conneries de chacun. En
fait, quand quelqu’un se plante en live, il y a une sorte de solidarité
qui consiste a essayer de rattraper le truc tout de suite. Et comme disait
Jean-Jacques, c’est un peu à celui qui aboie le plus fort.
En fait, on doit prendre une décision très vite, et c’est
celui qui sera le plus lisible finalement qui sera suivi.
Tu as aussi travaillé avec certains « Star’
Académiciens » ainsi que pour l’émission «
A la recherche de la nouvelle Star ». Tu es un musicien professionnel,
qui a percé grâce à son travail et son mérite,
alors que la télé-réalité valorise une ascension
rapide, pas toujours justifiée. Que penses-tu de ce phénomène
?
Pour la Star ac’, je vais être sincère, j’ai
fait des guitare pour l’album de Georges-Alain et je suis également
très copain avec Jeremy Chatelain, mais à vrai dire, je
n’ai jamais regardé l’émission Star Academy.
Par contre, c’est différent pour « A la recherche de
la nouvelle star », où j’ai participé à
toutes les saisons live. Pour être tout à fait franc, quelque
chose me gène. Pour moi, c’est déjà un non
sens de croire qu’on peut médiatiser des gens avant qu’ils
n’aient enregistré quoi que ce soit. En plus, on fait croire
qu’on peut devenir un artiste en trois mois. Ce qui est pour moi
la plus grosse erreur. En même temps, au début, je rejetais
complément ce système. Mais je me suis rendu compte qu’il
y avait au milieu de ça des gens très doués. Et pour
ces personnes très douées, cette exposition médiatique
doit être très profitable. En même temps, quand l’artiste
essaie de sortir quelque chose de personnel, il part avec un handicap,
il a une étiquette. S’il veut faire autre chose que la musique
qui l’a fait découvrir au grand public, ça va vraiment
être très dur. Je pense notamment à Steve Estatof,
qui a gagné la deuxième saison de la Nouvelle star. Je le
connais très bien, et j’ai travaillé sur son album.
Ce mec, je l’adore. C’est un pur rock n’roller. Mais
en même temps, il a maintenant un problème d’image.
Parce que les gens qui vont acheter d’emblée son album sont
des clients de la Nouvelle star, mais pas de sa musique. Et à l’inverse,
les gens qui seraient clients de sa musique rejettent en bloc le personnage
à cause de son passage à la Nouvelle star. Après,
les artistes se trimballent une image qui peut ne pas leur coller. Certains
artistes s’en sont bien sorti. Notamment Jennifer. Maintenant, quand
on parle de Jennifer, on ne pense plus du tout à la star Ac’.
L’autre grand problème avec ce phénomène de
médiatisation et de télé-réalité, c’est
que ça a aussi bouché tout le reste. C'est-à-dire
que les maisons de disque se retrouvent avec des intouchables, comme Goldman,
Souchon et Hallyday. Et d’un autre coté des gens de Star
ac, Nouvelle Star, Pop Star et compagnie. Et au milieu, il existe une
masse de gens qui n’ont plus la possibilité d’exister
dans le marché actuel.
Donc je ne critique pas le choix des chanteurs qui passent par ces chemins-là.
Pour travailler dans le milieu musical, je vois bien que c’est de
plus en plus difficile de sortir quelque chose. C’est pour ça
que je comprends la décision de participer à ces émissions.
La Star Ac ne laissera pas forcément d’album dans
l’histoire. Si tu devais vivre sur une île déserte,
quel album emporterais-tu avec toi ?
Question difficile. Je pense que ça serait « Exile on main
street » des Rolling Stones.
Et si ça devait être un de tes instruments ?
En fait, je ne me déplace jamais avec une seule guitare quand je
vais jouer. Je prends toujours une guitare accordée normalement
et une guitare en open tuning. C’est pour moi deux langages différents.
Pour la guitare accordée normalement, ça serait ma Strat
relic et si j’emmenais un guitare en open tuning…ce serait
la Gibson Les Paul junior ‘60 ou ma Telecaster « blonde ».
Tu es un fan de matos ?
Oui, j’adore ça ! De plus, j’ai renoncé depuis
longtemps à rechercher la guitare « ultime », celle
avec laquelle je pourrais tout jouer.
Pas mal de guitaristes avancés parmi ceux de notre communauté
voudraient devenir professionnel. Tu aurais un conseil pour eux ?
Je dirais déjà qu’il n’y a pas de moment où
l’on passe professionnel. Parce que le jour où on se dit
« j’y suis arrivé », à mon avis faut arrêter
la musique, parce que ça ne sera plus la peine.
Tu penses qu’il y a encore la place pour de nouveaux arrivants
?
Ben j’espère. J’espère surtout que le marché
de la musique va se réinventer une manière de fonctionner.
On parlait de ces histoires de télé-réalité,
je trouve que le marché est assez grippé, et que les maisons
de disque ont du mal à signer. Je ne vais pas faire de cliché
à deux balles, les maisons de disques sont aussi muselées
par de grands groupes. Il ne faut pas hésiter à avoir des
idées, aussi saugrenues soient-elles pour essayer de réinventer
un système.
Le site de Michel-Yves Kochmann :
http://www.myk.com
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