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Guitare LiveMagazineGuitare Live N° 12Werner Schär, maître luthier suisse

Werner Schär, maître luthier suisse

Depuis, il s’est installé dans le magnifique village montagnard de Tamins, à 10 Km de Coire (Chur en allemand, la plus vieille ville suisse) Dans ce cadre idyllique et paisible, Werni et sa femme Cecilia ont construit un temple de la guitare. C’est là qu’ils ont fondé l’Ecole de lutherie de Tamins. Elle reçoit des élèves venus du monde entier.

L’Ecole de lutherie de Tamins

Tamins vu des montagnes

Tamins vu de l’Atelier

Werner Schär est né en 1958 à Coire. Troisième enfant et premier garçon, il grandit dans une famille heureuse et paisible. Son père est électronicien, sa mère travaille dans le textile. A quinze ans, il entreprend une formation d’électronicien. C’est à cette époque qu’il découvre la guitare. Un jour, à la radio, il entend un morceau de guitare classique et découvre un nouveau monde.

Dans un magasin de sa ville natale, il achète une guitare classique, puis il prend des leçons auprès de professeurs locaux. Lorsque l’un d’entre eux émigre au USA, il est si impressionné par l’avancée spectaculaire du jeune Werni qu’il lui lègue son cheptel d’élèves. C’est ainsi que, très tôt, il devient professeur de guitare classique. Il consacre chacune de ses heures libres à la musique. Il joue des journées, des nuits entières.

Une nuit, au cours d’une fête en forêt autour d’un feu de bois, Werni marche sur la précieuse guitare d’un ami et en détruit la table.

Dans son désespoir – il pense que le plus grand malheur de sa vie vient de lui arriver – il promet à son ami de réparer cette guitare.

Dès le lendemain, Werni se procure (toujours dans la même boutique) des deux planchettes de bois cru avec lesquelles il entreprend, sans aucune connaissance, sur la table de sa cuisine, de réparer la guitare accidentée.

Malgré l’improvisation complète, il finit par mener son entreprise à bien. C’est un déclic.

Sa formation d’électronicien est terminée. Diplôme en poche, il travaille à moitié dans l’électronique et à moitié en tant que professeur de guitare. Il est très demandé. C’est l’heure des grandes décisions. Il s’installe dans un minuscule appartement avec Cecilia, jeune employée du magasin de musique (il a été son premier client !) et jette aux orties son diplôme afin de se consacrer, sur la même table de cuisine, à la construction de sa première guitare. Les moyens sont inexistants ; Cecilia amène énergie, amour et eau fraîche.

Cela marche. La guitare est bonne, il en construit une seconde, qui trouve immédiatement acquéreur. Soutenu sans conditions par ses parents et Cecilia, Werni ouvre un atelier de lutherie à Chur. Les clients viennent nombreux, la compétence de Werni augmente de jour en jour.

En 1984, il suit une formation auprès du maître-luthier José-Luis Romanillos, le spécialiste et descendant posthume de Torres. Romanillos distingue ce jeune homme plein de talent, d’élan et de volonté ; il lui remet les plans de Torres. Werni devient, ainsi, un des petits-fils spirituels du maître de San Sebastian de Almeria (voir mon article "L’histoire de la guitare classique" dans un numéro précédent de Guitare Live)

José-Luis Romanillos présente le travail de son élève Werner Schär (1984)

En 1986, Werni devient professeur de guitare titulaire à l’Ecole Supérieure Pédagogique du canton des Grisons. C’est également cette année-là qu’il épouse Cecilia et que le premier de leurs trois fils vient au monde.

De grands guitaristes internationaux sont enthousiasmés par son travail. Les commandes se succèdent. L’intérêt de la presse va en augmentant. Au fil de ans, il change à trois reprises de locaux pour agrandir son Atelier, qu’il veut au centre-ville.

En 2001, toute la famille (cinq personnes qui jouent de la guitare – et qui vivent aussi bien pour la guitare que par la guitare) et toutes les activités se réunissent à Tamins.

L’entreprise classicguitar.haus est fondée. Repartie sur trois bâtiments, on y trouve tout ce qui a trait à la guitare : instruments de tout niveau, accessoires, cours de guitare, école de lutherie, atelier de réparation… un lieu onirique pour tout guitariste, du débutant au concertiste. Ils viennent nombreux, restent parfois plusieurs heures, non pour acheter ; juste pour être là. A cause de l’ambiance dorée, du calme, des sons, du temps arrêté.

La partie boutique, dont s’occupe Cecilia

Quelques vues de l’Atelier…


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Pour les lecteurs de Guitare Live, j’ai posé quelques questions à Werner Schär.

Guitare Live : Tu joues et enseignes la pratique de la guitare. Penses-tu que l’on puisse devenir un luthier d’exception et se passer d’être un guitariste sensible et expérimenté ?
Werner Schär : On peut devenir un luthier exceptionnel sans être guitariste… mais je crois qu’être également guitariste apporte toute une dimension supplémentaire. Tel un viticulteur qui est également œnologue…

Guitare Live : La lutherie, même au plus haut niveau, est-elle toujours un subtil mélange de science et d’empirisme ?
Werner Schär : Tout-à-fait. Mais science et empirisme ne suffisent pas : il faut également une grande part d’attention, d’habileté manuelle, d’empathie. Il faut sentir brûler en soi le feu sacré.

Guitare Live : Quelle est la marge de surprise entre l’instrument que tu penses être en train de construire et ce qu’il donne, une fois terminé ?
Werner Schär : On ne peut exclure les surprises, mais leur ampleur reste modérée. Sauf, évidemment, si l’on modifie profondément un point important de la construction ; là, les surprises peuvent être de taille... C’est pour cette raison que je me tiens fermement au schéma de construction que j’ai développé avec le temps sur les bases ancestrales. C’est l’expérience qui me permet, par certaines interventions, d’influencer le son. Ou, par petites touches progressives, d’explorer de nouvelles voies.

Guitare Live : N’écoutes-tu que de la musique classique, que de la guitare ?
Werner Schär : Non, j’écoute toutes les musiques… ce qui compte, c’est qu’elles me touchent. Leur origine ou leur style n’a alors aucune importance à mes yeux. Ce qu’il y a de drôle c’est que… la musique que j’écoute le moins, c’est celle pour guitare ; je ne peux m’empêcher de préférer en jouer…

Guitare Live : Notre portail est fréquenté par toutes sortes de guitaristes. Qu’aimerais-tu dire aux débutants ? Aux avancés ou aux professionnels ?
Werner Schär : D'après ce que j'en ai vu, je reconnais en Guitare Live ce que je vis chez moi tous les jours. Des guitaristes de tous niveaux, de tous styles, de tous horizons qui se rencontrent, qui parlent, qui échangent, qui essaient des choses – ensemble ou séparément. Ce "cosmopolitisme de la guitare" abolit les frontières artificiellement entretenues par certains entre les niveaux et les styles. Je suis un passionné d’Internet parce que, justement, c’est une fenêtre ouverte à la fois sur le monde et sur le futur.

Pour revenir à la triple question… je ne me sens pas dans la position de quelqu’un qui pourrait prodiguer des conseils magistraux à qui que ce soit... Je ne connais pas de vérité absolue, je ne rencontre que des vérités individuelles ou circonstancielles.

Mais je peux dire à tous ceux qui jouent de la guitare : joue chaque son avec tout ton cœur. Un son qui ne découle pas de ton sentiment n’est rien d’autre qu’une fréquence sonore.

Guitare Live : Ton meilleur moment guitaristique ?
Werner Schär : Le moment où, il y a 30 ans, j’ai entendu à la radio, pour la première fois, de la guitare classique. La musique s’est infiltrée dans tous mes pores. Depuis cet événement auditif, la guitare m’accompagne dans chacun de mes gestes quotidiens.

Guitare Live : Ton pire moment guitaristique ?
Werner Schär : Le pire, mais également l’un des plus important moments de ma vie fut ce fameux soir où j’ai marché sur la guitare d’un ami, sans pouvoir savoir, dans l’instant, que cela allait devenir un moment de grâce, une orientation décisive.

André Stern a.k.a Amidala

Publié dans le magazine N° 12 de Décembre 2005


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