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Guitare LiveMagazineGuitare Live N° 16Joe Satriani : "évitez la technique à tout va"

Joe Satriani : "évitez la technique à tout va"

Joe Satriani, la technique apprivoisée

Leader du G3 et artiste solo hors pair, Joe Satriani compte parmi les guitaristes les plus respectés de la planète. Après « Is There Love In Space ? », l’Américain revient en ce début d’année 2006 avec un nouvel album, plus varié et adulte que jamais, Super Colossal. Intringués par sa manière de travailler, nous avons questionné cette très bavarde légende de la six-cordes sur les étapes de la création de ses albums, sans oublier le G3.

N'oubliez pas de retrouvez le style de Joe Satriani dans les cours de Pascal Vigné, dans le même numéro et celui de Guitare Live 15 paru en février 2006.

Cliquez sur l'image pour rejoindre les cours ou une biographie sur Joe Satriani

 

Au fil de ta discographie, j’ai l’impression que tu tends de plus en plus vers le groove et le jeu tout en finesse, tu ne laisses plus que çà et là quelques plans purement techniques. Et ce n’est pas le récent Super Colossal qui me fera changer d’avis. Es-tu d’accord avec ce constat ?
Oui. De façon générale, les albums de guitare instrumentale ne sonnent pas comme les albums traditionnels. Il y a plusieurs raisons. La plus importante est que sur un disque instrumental, il faut éviter la technique à tout va. Sinon c'est le début de la fin pour l’auditeur. C’est la même chose pour les chanteurs : dès qu’ils veulent prouver qu’ils sont les meilleurs, ça n’est pas bon pour la musique. Par ailleurs, je me suis demandé pourquoi, en tant qu’amateur de musique, je préférais toujours les albums de rock avec du chant aux albums de guitare instrumentaux.

L’explication tient essentiellement au son : les albums traditionnels ont généralement une meilleure production. Les arrangements doivent également mettre en valeur autre chose que simplement la guitare, chose que font très rarement les disques instrumentaux. Les albums de rock sont à ce titre un véritable exemple à suivre. J'ai eu bien conscience de ces pièges et je ne pense pas être tombé dedans car à chaque instant, j'ai toujours privilégié la qualité des mélodies et en ce qui concerne le son, je me suis assuré qu’il soit assez bon pour qu’un chanteur puisse ajouter ses lignes de chant. C’est un bon processus de travail pour moi. De cette façon, je suis sûr de ne pas obtenir un résultat trop orienté vers la technique.

Super Colossal a été co-produit par toi et Mike Fraser. Pourquoi as-tu eu recours à lui alors que tu as tout composé toi-même et enregistré la majorité de la musique ? Avais-tu besoin d’un point de vue extérieur ?
Absolument. J’ai toujours besoin du point de vue de quelqu’un qui n’est pas impliqué dans un projet de A à Z. Mike Fraser est tellement fort dans son travail que si j’avais eu un budget plus important, j’aurais aimé qu’il soit avec moi dès le départ. Nous aurions pu louer un château en France et bosser sur l’album tout en mangeant de la nourriture de bourgeois (rires). Mais je savais dès le départ que Super Colossal était un gros projet qui ne serait pas bouclé rapidement.

J’ai donc décidé de faire appel à Mike Fraser pour ce que je ne savais pas faire moi-même. Il sait enregistrer la batterie nettement mieux que moi. Son boulot était de tirer le meilleur parti des idées que j’avais sur des démos, et d’arriver à un son rock énorme et « transparent » à la fois. Je savais qu’il y arriverait car c’est un des meilleurs producteurs et ingénieurs du son au monde.

Quel est le secret de ce son si cristallin et puissant obtenu sur l’album ?
(rires) C’est le premier album que j’ai enregistré avec un échantillonnage en 96 kHz. De toute évidence, c’était la clef. Tout a été fait avec Pro Tools et des ordinateurs Mac. J’ajouterais que Mike et moi avons fait très attention à la masterisation. En effet, par le passé, j’ai remarqué que le son définitif du CD n’était jamais identique à celui que j’avais mis au point en studio. Pour ceux qui l’ignorent, la masterisation est la dernière phase de la production d’un disque. C’est en gros le transfert de ce qui a été fait en studio sur le support physique final, le CD en l’occurrence. Durant cette phase on ajuste le volume ou on équilibre les pistes… En fait, à ce stade, on peut totalement changer la nature de l’album ! J’ai ainsi eu de mauvaises surprises au cours de ma carrière : le son de guitare était altéré, parfois le son du disque était meilleur mais la guitare en elle-même avait perdu le grain que j’avais mis au point, etc.

Cette fois, Mike et moi avons tout fait pour que le son du studio soit celui que les auditeurs entendront chez eux. Tous les ajustements ont donc été réalisés par Mike avant même la masterisation ! Par conséquent, George Marino de Sterling Sound n’a rien eu à faire du tout, à part remonter le volume pour l’adapter au support CD. Il était extrêmement surpris. Inutile de dire que je suis très heureux de pouvoir enfin proposer un enregistrement de cette qualité à mon public !

Avec le titre Super Colossal et son rythme entêtant, un autre morceau dans le même registre se dégage des compositions : Crowd Chant. Peux-tu nous parler de ce titre assez inhabituel pour toi ?
C’est amusant que tu fasses le rapprochement entre ces deux chansons car elles sont étroitement liées dans mon esprit. Quand je devais décider de l’ordre des morceaux, j’ai demandé à Mike, à ses assistantes, au directeur du studio et à n’importe qui passant par-là de m’écrire leur propre tracklist. J’ai croisé les résultats sur un tableur et je me suis aperçu que tout le monde plaçait A Cool New Way, One Robot’s Dream, The Meaning Of Love et Made Of Tears en milieu de disque car ces titres étaient perçus comme émotionnellement plus intenses et personne ne voulait les entendre au début ou à la fin. Crowd Chant et Super Colossal étaient quant à eux systématiquement placés soit en première soit en dernière position. Crowd Chant est une chanson très directe où trente-cinq personnes sont venues chanter dans le chaos le plus complet ! Ce sera génial en concert.

Effectivement, ce titre est taillé pour la scène ! Chez les disquaires français, tes albums peuvent être classés un peu partout. On peut souvent les trouver dans le rayon metal, parfois dans le rayon rock et plus rarement dans le rayon fusion. Une bonne fois pour toutes, où faut-il les mettre (rires) ?
Sans aucune hésitation dans le rayon rock. Je pense que si un amateur de fusion écoutait par hasard un de mes disques, il trouverait qu’il y a trop de mélodies et pas assez de soli ou de shred. Si un metalleux tombait sur un de mes albums, il lui reprocherait sans doute d’avoir un son trop propre et dirait sûrement un truc du genre « Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas de distortion et pourquoi est-ce que tout n’a pas été joué à la double pédale ? » (rires) Le rock est la catégorie qui me correspond le plus. Ainsi, j’évite d’être classé dans le bac de variétés italiennes !

Tu veux dire que cela t’est déjà arrivé ?
Oui ! J’ai déjà vu cela chez certains disquaires américains qui avaient dû se dire que le nom Satriani sonnait italien (rires). Je crois que certains Américains ont tendance à oublier le véritable melting pot que constitue leur propre pays… En tout cas, je réalise en répondant à cette question qu’il ne m’arrive plus très souvent de me rendre chez un disquaire. Je fais mes courses de CD et de DVD avec Internet maintenant. Je trouve cela nettement plus pratique car plus rien n’est classé ou caché à l’abri des regards comme dans un magasin de disques habituel. Maintenant en tapant le nom qu’on recherche, on gagne en liberté et on peut faire de chouettes découvertes !

Parlons un peu du G3, maintenant. Guitare Live a récemment parlé à Steve Lukather de Toto qui aimerait bien participer à une tournée G3 un jour. Que penses-tu de cette idée ?
C’est une excellente idée car Steve Lukather fait partie de ces guitaristes que je respecte énormément. Non seulement il est impressionnant à la guitare mais c’est également un très bon chanteur. C’est un excellent musicien avec qui j’ai déjà eu l’occasion de jouer. Et à chaque fois, ce fut épatant. J’espère sincèrement qu’il pourra un jour participer à un G3 ; en tout cas il est le bienvenu où il veut, quand il veut (rires). Il faudrait que je lui en parle car on se voit assez souvent. La dernière fois c’était au concert hommage à Les Paul il y a quelques semaines et si tout le monde savait comment il se comporte dans les coulisses, nul doute que les gens l’aimeraient encore plus !

J’aimerais revenir sur la tournée G3 avec Robert Fripp. Celle-ci n’a pas fait l’unanimité chez les amateurs du concept à cause du décalage entre les « soundscapes » du guitariste de King Crimson et le reste du show. En tant qu’auditeur, est-ce que tu apprécies ce que proposait Robert Fripp ?
Personnellement, à chaque fois que j’ai vu Robert Fripp jouer, j’ai adoré son concert car c’était à la fois mélodique et cathartique. Il fait quelque chose d’unique, que personne ne peut reproduire. Je voulais partager cette passion avec les membres du public qui, pour certains d’entre eux, ne connaissent pas les œuvres solo de Robert. Composer cette musique - et la jouer – requiert un niveau artistique très élevé. Il est donc extrêmement respectable à mes yeux.

Néanmoins, il n’était pas rare que des membres du public le huent. Comment est-ce que Robert Fripp réagissait après ces concerts ? Il ne devait pas être habitué à être reçu comme cela ?
Bien entendu, comme n’importe qui, il n’appréciait pas spécialement de se faire huer, mais il s’est fait violence car il a énormément de respect pour toute la partie du public qui appréciait ce qu’il faisait. Je crois que c’est la façon dont il faut réagir quand cela arrive. Il ne faut pas baisser les bras. De plus, Robert avait tendance à venir jammer avec mon groupe pendant mon set et à jouer de manière totalement différente. Généralement, cela plaisait à ceux qui avaient été déçus par son set. Et comme il est très humble, il faisait cela sans aucune lumière pour le mettre en valeur sur scène. Et puis lorsqu’il nous rejoignait pour la partie finale où nous jammions tous ensemble, tout le public finissait par être dingue de lui et l’acclamait au moment où je le présentais ! Au final, il avait tout le monde dans sa poche.

Le site officiel de Joe Satriani :
http://www.satriani.com

Publié dans le magazine N° 16 de Avril 2006


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