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Guitare LiveMagazineGuitare Live N° 3Michael Jones, entre blues et show-biz

Michael Jones, entre blues et show-biz

Michael Jones, entre blues et show-biz

Guitariste d’essence blues acoustique, Michael Jones vient de sortir son album « Prises et reprises », avec des duos avec Jean-Jacques Goldman et Francis Cabrel. Une galette qui mêle simplicité et arrangements soignés. Pour le grand public, Michael Jones était le prof d’interprétation de la Star Academy 4, qui a réuni près de 9 millions de téléspectateurs lors de la finale. Malgré l’aspect machine à fric plus que lassant et les critiques, cette émission phare de la télé-réalité française permet désormais, d’après lui, de révéler de vrais talents. Même si les musiciens, en tout cas ceux prêts à franchir le pas du show télévisé, ont encore des efforts à faire pour trouver grâce aux yeux du public. Aujourd’hui, l’émission s’est construit une crédibilité auprès de certains professionnels. L’expérience est épuisante mais il ne la regrette pas. Il en parle même très spontanément. Entre un sandwich et une tasse de thé, on se régale à écouter son avis sur un peu tout, au point qu’on en oublierait presque la sortie du disque.

Par DIDIER CASTELNAU



(Michael sort d’une séance photo en extérieur, monte les marches d’un escalier pour rejoindre la table de l’interview. Il est 13 heures, le guitariste à l’accent so bristish termine un sandwich et avale rapidement un thé au lait…on sent que c’est une journée marathon. On évoque l’album et très vite, la Star Academy passe au cœur de la discussion)

Encore une journée promo à courir les journalistes ? C’est épuisant ?

C’est crevant. Je n’arrête pas depuis 6 heures du matin. Mais franchement, ce n’est rien par rapport aux journées marathon avec la Star Academy. Là, c’était l’enfer ! Le travail en amont de l’émission était énorme. Il fallait être présent et passer beaucoup de temps pour que les élèves bossent vraiment. Le travail dans l’ombre était très important. Même ceux qui pouvaient voir Star Academy 24 heures sur 24 n’en voyaient qu’une partie car tout se passait dans différentes salles. Les gens ne peuvent voir pas mal de choses.
Faire une émission toutes les semaines, c’est un travail énorme, dans l’urgence. On choisissait les chansons le mercredi, pour les interpréter le vendredi. Avec la préparation du chant, puis les répétitions et la mise en scène sur le plateau, cela laissait à peine deux jours. Il fallait aussi prendre en compte l’emploi du temps de l’artiste invité pour le duo. Un rythme de fou.

C’était aussi une expérience humaine ?

Le rapport avec les élèves était fabuleux. J’ai retrouvé un peu l’esprit des rencontres d’Astaffort avec Francis (Cabrel, ndr) ou quand j’étais prof de musique. Sauf qu’ici on n’était pas là pour leur apprendre la musique, mais pour les aider à trouver leur propre interprétation d’un morceau. Pour ne pas faire un simple copie de la version originale.

Sauf que l’enjeu, la recherche du succès les soumet à une grosse pression.

C’est vrai. Aujourd’hui, passer à la Star Academy, c’est un énorme pied à l’étrier. D’ailleurs presque tous ceux qui ont fait la Star Ac’ ont sorti un disque.

Beaucoup tombent dans l’oubli ensuite.

Ceux qui ont du talent continuent. On peut citer Emma Daumas ou Jérémy même s’ils n’ont pas gagné la Star Academy 2. Les derniers participants de la quatrième édition vont continuer car ils ont du talent. Matthieu écrit de belles chansons, dans un style plutôt alternatif à la Vincent Delerme, sauf qu’il chante mieux ! Hoda est une très bonne chanteuse à voix, avec un grain blues. Ce sont de vrais artistes.

Personnellement, je n’ai jamais été intéressé par la Star Ac’. Elle m’agace même parfois, surtout sur les aspects liés à la télé-réalité. Tu n’as pas eu des doutes sur l’intérêt de participer à cette émission ?

Si. J’étais réticent au départ. Ce sont les producteurs qui m’ont appelé, pas le contraire. Je n’étais pas demandeur pour faire l’émission. J’ai cité toutes les critiques que je trouvais aux émissions précédentes, et j’ai proposé d’y remédier.

Quelles critiques ? Tu n’es pas gêné par le fait d’avoir des gens sélectionnés surtout pour cibler tous les publics (ndr : avec un casting autour du black sympa, l’indispensable ado rebelle, le rappeur de service ou la jolie frivole) ?

J’ai appris qu’il y a toujours eu un thème. Il ne faut pas oublier que les gens (Endemol notamment) qui ont produit Star Academy sortaient du premier succès de la télé-réalité, le Loft. Pour la première édition de la Star Ac, ils ont fait un casting pour trouver les profils qui correspondaient à leurs envies. Ils ne se sont pas vraiment trompés car Jennifer est toujours là et elle cartonne ! Pour la Star Ac 2, ils ont vraiment cherché des artistes qui avaient des personnalités. Plusieurs d’entre eux existent encore. Sur la troisième édition, ils se sont intéressés à des musiciens. Le problème est que, souvent, les musiciens ne savent pas être artistes.

Les musiciens ne savent pas se vendre ?

Un musicien joue sa musique. Il ne pense pas suffisamment qu’il faut faire passer un message, et c’est toute la différence avec un artiste. La Star Academy a voulu impliquer des musiciens. Or les meilleurs musiciens ont été les premiers à se faire éliminer par le public.

Est-ce que le fait d’être musicien, ce n’est pas aussi avoir une vision plutôt noble ou engagée de la musique, un peu incompatible avec la Star Ac’ ? Il y a un monde entre le fait de travailler durant des heures chaque jour un instrument, pendant des années, et accéder à la popularité en quelques jours.

Mais c’est vrai aussi pour tous ceux de la Star Ac’ ! Ils ont tous bossé. Hoda ne chanterait pas comme elle le fait si elle n’avait pas passé des années à écumer les bars de Toulouse ou d’ailleurs. J’avais déjà entendu des maquettes de Greg avant de participer à l’émission. Je n’ai pas participé au casting et quand je l’ai découvert le soir de la première, je me suis dit «Mais je connais cette voix !». Matthieu avait bossé durant des années avec de bons musiciens avec qui je jouais il y a vingt ans. Il n’y a pas de hasard. Lucie avait gagné «Graine de stars». Harlem avait déjà fait un album et construit une notoriété dans le milieu du rap. Tous ont beaucoup bossé avant d’arriver là. Que veux-tu qu’ils fassent d’autre pour se faire connaître ? Il n’y a plus rien d’autre. Lorsque je suis arrivé en France en 1971, on pouvait vivre tranquillement de la musique. Tu pouvais jouer dans les café-concerts pour te faire connaître. Aujourd’hui, la moitié ont fermé à cause d’une loi débile sur les nuisances sonores. Je me souviens d’un super caf-conc’ à Nilvanges à côté de Thionville (Moselle, France), qui s’appelait le Gueulard. Il ne gênait personne ! Bonne sono, bonnes lumières et de bons cachets pour les musiciens. La salle a dû fermer car ils ne pouvaient pas faire baisser le volume sonore en dessous de 60 décibels dans la rue. C’est moins de bruit qu’une mobylette. Ridicule. Alors maintenant, pour se faire connaître, le seul truc qui reste, c’est la télévision et Star Academy.

C’est vrai que de nombreux lieux ont fermé, même si les gens se déplacent encore beaucoup en concert.

Oui. Mais les choses vont s’améliorer avec internet. De plus en plus, les artistes vont projeter leur image sur le web et auront moins besoin de la télévision ou des maisons de disque pour leur promotion. Il manque encore un bon vecteur pour télécharger la musique sur internet. Pour l’instant, ce n’est pas encore ça. Car le mp3, franchement c’est bof.



Tu trouves dommage de compresser la musique ? C’est vrai qu’on peut avoir une perte des harmoniques ou un léger effet de flanger sur les cymbales par exemple.

C’est simple à expliquer. Sur un album CD, une chanson est déjà compressée. Elle pèse environ 30 Mo. Contre 4 Mo en mp3. On a des pertes, et tout ce qu’on récupère est simulé. On n’a plus qu’un son formaté, qui a perdu de la dynamique et toutes ses nuances. Le mp3, c’est bon pour des chaînes audio de basse qualité. Compare un mp3 à coté d’un CD dans une bonne chaîne hi-fi, avec un bon ampli et des baffles de qualité, la différence est énorme. Tout dépend aussi des musiques. Le rap et le hip-hop, ça passe très bien en mp3. Pas le blues ni le rock, à cause de la perte de son et de dynamique. Il faut mettre à fond pour tout entendre, ce n’est pas normal.

On a eu quelques espoirs dans l’industrie musicale sur le format Super Audio CD en 5.1. On n’en entend plus guère parler.

Si on achète un CD en 5.1, on ne peut pas l’écouter dans un auto-radio car le son est sur cinq pistes. Il faudrait pouvoir mettre les deux versions (stéréo et 5.1) sur le CD mais il n’y a pas la place. Ou alors il faut un DVD. Alors quel intérêt de faire un CD en 5.1 quand on peut proposer un DVD avec des images en plus, pour le même prix ?

Le mp3 et le numérique ont quand même aidé à démocratiser la musique. Pour les musiciens, les choses bougent aussi beaucoup. On peut regretter que certains instruments de marque soient encore chers.

Cher ?! Ah non ! Franchement, quand je vois le prix des guitares par rapport à mon époque, c’est beaucoup moins cher aujourd’hui. Regarde les prix de Gibson ou Fender, et compare aux premières guitares que j’ai achetées quand je suis arrivé en France. Là, c’était inabordable, c’était la ruine ! Beaucoup plus qu’un mois de salaire. Aujourd’hui, on a de très bonnes guitare pour moins que ça. Le niveau de vie à l’époque, en 1971, était plus bas. A l’époque, un franc valait plus qu’un euro aujourd’hui. Une Gibson SG valait plus de 3000 francs. Aujourd’hui, tu as une SG pour beaucoup moins de 3000 euros.

Après un passage à vide, le marché de la guitare a le vent en poupe, et beaucoup de filles s’y mettent. Certains professionnels se demandent si la Star Academy a joué un rôle important sur ce phénomène, en montrant au grand public des gens en train de jouer du piano ou de la guitare.

Certainement. Et on l’a voulu, le fait de montrer des musiciens. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui fait que j’ai accepté de faire l’émission : avoir un groupe live ! Pour jouer sur de vrais chansons et non des playbacks de mauvaise qualité. On avait les amplis sur place, j’avais emmené ma guitare…On avait de bonnes conditions pour travailler.

Avec une vraie liberté artistique ?

Le problème, c’est quand l’élève doit chanter en duo en prime avec un artiste invité. On est obligé de respecter le titre original, les possibilités sont limitées au niveau du son, des arrangements. On demande parfois si on peut rendre l’interprétation un peu plus moderne. Le fait d’avoir un orchestre, c’était une bonne chose. Les bandes des playbacks qui avaient été utilisées pour les précédentes Star Academy avaient vieilli, le son n’était pas bon. Les bandes ont toujours existé en télévision mais le jeu live, c’est bien mieux.

Surtout que parfois, à la télévision, on frise le ridicule en playback, lorsque les musiciens jouent sur des instruments qui ne sont pas branchés. C’est toujours amusant de voir un guitariste faire un chorus sans câble raccordé à sa prise jack.

C’est lié à une ancienne exigence syndicale des gens de télévision, la SFP (Société française de production). Ils n’acceptaient pas que des gens chantent en playback complet (orchestre+chant) avec un micro. On n’avait pas le droit de faire croire aux gens que c’était vrai. Les professionnels de la télévision reprochaient aussi aux musiciens d’être incapables de bien jouer en direct ! A l’inverse, les techniciens sont souvent incapables de faire une bonne prise de son d’un instrument. Les choses se sont arrangées lentement à partir des années 80 car sociétés privées sont intervenues, avec des émissions en live. Ca a commencé avec l’Echo des bananes pour atteindre un sommet avec Taratata (ndr : l’émission animée par Nagui, tournée de 1993 à 2000). C’est là que les artistes ont commencé à demander de faire du live en France.



Parlons de l’album Prises et Reprises. Le single «Le frère que j’ai choisi» m’a donné l’impression d’avoir été pensé pour faire un tube de guitare acoustique, avec sa mélodie, ses paroles et sa grille relativement simples. D’autres morceaux m’ont davantage intéressé comme l’adaptation de Walking in Memphis

On ne peut pas dire que «Le frère que j’ai choisi» ait été pensé et construit comme un hit, parce qu’il n’y a pas de refrain.

C’est une sorte d’hymne à l’amitié ?

Les paroles ont été écrites par Jean-Jacques Goldman. C’est notre histoire. N’importe lequel de nous deux aurait pu chanter cette chanson, sauf quand il parle de mon accent ou du fait que j’ai trop bu, car lui ne boit pas.

Le titre n’a pas la portée universelle de votre duo «Je te donne», avec du chant en anglais et en français. Le titre avait quelque chose de fort, en tout cas il a eu un succès énorme.

Ah, «Je te donne», c’est un morceau dont je suis assez fier. On peut le réécouter aujourd’hui, il n’a pas vraiment vieilli. En plus, il y avait un vrai message anti-raciste. Il n’y a pas un tel message dans «Le frère que j’ai choisi», mais les gens peuvent se retrouver dans les paroles.

L’adaptation de Walking in Memphis est intéressante, les paroles pas si faciles à traduire. Le morceau de Marc Cohn est une petite merveille...

Ce titre est particulier. Sur tous mes autres albums, les chansons étaient composées au piano. Avec Prises et reprises, c’est la première fois que je compose presque tout à la guitare. Or Walking in Memphis a été écrit par un pianiste. Je l’ai adapté totalement, avec un peu d’orgue au milieu.

J’ai trouvé sur le net un site de fans qui discutaient des paroles parfois codées et de la façon de les interpréter. Comment as-tu fait l’adaptation ?

C’est Francis Cabrel qui a écrit les textes en français. Certains passages demandent de connaître la vie d’Elvis et n’étaient pas forcément évidents à traduire. Par exemple, dans le texte original, Marc Cohn parle de la Jungle Room. C’était la pièce de télévision d’Elvis Presley chez lui à Graceland, avec des peaux de zèbres et ce genre de déco. Et Marc Cohn était embêté parce qu’on ne citait plus W.C. Harry, un proche d’Elvis. Or peu de monde aurait compris si on avait traduit tout littéralement.

Des membres vont te voir en concert courant février. L’un d’eux, qui chante à la guitare acoustique, m’a demandé de recueillir quelques infos sur ton matériel.

Pour l’album, j’ai fabriqué ma propre guitare, pendant la canicule de l’été 2003 à partir d’un manche Fender en érable, avec préampli de la marque. Le tirant de corde est en 11-46 ou 11-52 pour mes guitares accordées en Mi bémol. J’ai une Gibson Super 400 que j’aime beaucoup et plusieurs instruments ont été utilisés. Une Gibson 355 de 1961, une Les Paul Black Beauty que l’on voit sur la pochette du disque. En acoustique douze cordes, c’est Takamine. J’ai aussi une Franck Cheval. Sur «Des nuits trop longues», c’est une National 1932. Pour le slide, j’utilise un petit bottleneck en verre Jim Dunlop, mis sur l’annulaire. J’utilise aussi une guitare tri-résonateur de Mike Lewis. Sur «J’aime les autres», je fais du slide sur une guitare résonateur de Mike avec un diapason qui permet de jouer en ré. Avoir un manche plus long donne une belle profondeur au son. Il y aussi une Fender Stratocaster Clapton, une vieille guitare Schecter… J’ai une vingtaine de guitares au total.

Au niveau des effets ?

Il n’y en a quasiment pas. La prise de son se fait depuis l’ampli. La seule pédale que j’utilise est la Tube Screamer TS808. Le reste sur «Prises et reprises», c’est des effets de studio ajoutés après la prise. Pour le premier morceau, l’ampli est un Fender Blues junior. J’ai aussi utilisé un Marshall Anniversary et un Vox AC 30.•

Le site de Michael Jones :
http://www.michael-jones.net/

Publié dans le magazine N° 3 de Février 2005


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