Chacun sait que la guitare produit des
sons grâce à la vibration des cordes amplifiées par
les cordes. D’accord, mais plus précisément ? Un jeune
scientifique français, Grégoire Derveaux, a réalisé
une thèse sur l’acoustique de la guitare. On y découvre
comment la table vibre avec une animation 3D, spectaculaire et très
parlante. Grâce aux mathématiques, il a reproduit en équations
la vibration de l’instrument, de la table principalement, en jouant
simplement une corde de mi grave. Les mouvements sont décomposés
en « modes » de vibration qui s’additionnent à
chaque millième de seconde, faisant ressembler la surface de la
guitare à une mer déchaînée. On observe à
la fin comment le son se répartit dans l’air ambiant au contact
de la table d’harmonie. Regardez en vidéo un résumé
de ses travaux : impressionnant !
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16 Mo en .wmv)
Avec les équations de la physique, vous avez
modélisé la guitare acoustique pour comprendre comment vibrait
la table, comment le son était projeté. Cela ressemble à
un travail colossal !
Il s’agit d’un sujet de thèse réalisé
en trois ans, sous la co-direction d’Antoine Chaigne, qui dirige
une unité de recherche en Mécanique à l’école
d’ingénieurs ENSTA, et Patrick Joly qui dirige le Projet
POEMS (Propagation des Ondes : Etude Mathématiques et Simulation)
à l'Inria. Ce sont un guitariste et un pianiste tous deux passionnés
et ce sujet leur tenait à cœur. Je suis moi-même flûtiste
à mes heures perdues. Mais mon véritable domaine, c’est
les belles mathématiques !
Vous avez été en contact avec des luthiers avec
l’école de facture instrumentale ITEMM, votre travail les
intéresse ?
De nombreux luthiers s’interrogent sur la forme à donner
à la caisse par exemple. Les équations permettent d’explorer
des pistes. Avec le virtuel, on peut faire ce qu’on veut. J’aurais
pu modéliser un corps de guitare triangulaire, en forme de pyramide
pour voir comment il sonne. On découvre aussi des pistes de réflexion.
Mon sentiment, pour la rosace, est que ce n’est pas sa forme mais
sa surface (par rapport à la caisse) qui est déterminante.
Après, il y a des choix culturels et esthétiques qui imposent
des habitudes chez les luthiers comme les guitaristes.
Sur une guitare manouche, on appelle la rosace la « bouche
» et elle est plutôt ovale…
Sans vraiment explorer complètement, j’ai testé des
formes de rosace en carré et en rond mais ayant la même surface
: la modélisation donne un son très proche. Changez la surface
totale du trou, et le son varie beaucoup plus.
Quelles conclusions tirez-vous de la mise en équation
de la guitare ?
Sans la caisse, et surtout sans l’ouverture, les ondes de basses
fréquences ne seraient pas audibles. Le corps enferme l’onde
sonore, on perd un peu en puissance. Mais les variations de pression autour
de la rosace font résonner fortement le son. Et plus le trou de
la rosace est petit, plus on apporte des graves. Faîtes un trou
dans une caisse et comparez le son sans ce trou : la nouvelle fréquence
de résonance (en faisant un trou) est plus grave que la fréquence
fournie par la même cavité fermée. Un exemple en chiffres
: la fréquence de résonance la plus grave d’une caisse
non percée se situe aux environs de 200 Hz. Percer la rosace permet
de créer une résonance aux alentours de 90Hz, proche de
82 Hz du Mi grave. Le choix des dimensions pour la rosace, qui varie selon
le luthier, a donc son importance.
Vous avez joué sur la taille des cordes, la densité
des bois ?
Il a fallu faire des compromis, voir quels paramètres étaient
pertinents à analyser pour comprendre comment une guitare vibre.
Nous avons surtout travaillé sur la géométrie : la
forme du corps, la taille de la rosace. Le fait que le fond vibre aussi
ou pas. Ou encore l’endroit où l’on place les barres
de renfort sous la table. Le barrage a une importance capitale. Mais il
est encore difficile de modéliser des bois différents. D’autres
chercheurs y travaillent. Nous avons adopté l’idée
approximative d’un bois, plutôt raide dans le sens de ses
veines, souple dans le sens travers, et assez régulier dans ses
déformations. Le vrai bois résiste encore aux mathématiques
lorsqu’on entre dans les détails. C’est un matériau
vivant, possédant beaucoup de variations d'un arbre à un
autre ! J'en profite pour préciser que beaucoup d'essences de bois
utilisées en lutherie sont en voie de disparition. C'est une question
cruciale aujourd'hui de chercher à les protéger. Il est
donc nécessaire de trouver des bois de substitutions, voire carrément
des matériaux composites.
D’autres modélisations de la guitare comme chez
Line6 existent, non ?
Mon travail est plus large que la modélisation d’un seul
son de guitare, comme pourrait le faire un logiciel de musique. Ce qui
était nouveau avec ce projet, c’est qu’on s’intéressait
à la table de la guitare certes, mais aussi à l'air situé
à l'intérieur et à l'extérieur de la caisse.
La description que je propose montre les variations de pression du volume
d’air autour de la guitare. A ma connaissance, il n’existait
pas de représentation aussi poussée en acoustique. Cela
peut aider à la création d’un instrument de concert
qui sonnera plus puissant dans une grande salle, pour les guitaristes
qui ne veulent pas d’ampli électrique. Avec le modèle,
c’est comme si l’on plaçait un micro en n’importe
quel endroit pour juger de la puissance du son.
Peut-on imaginer de modéliser un violon avec vos travaux
?
Pas vraiment. La seule limite de mon modèle est d’avoir des
plaques comme la table d’une guitare. La table d’un violon
est bombée. Il faut faire appel à d’autres formules
de physique issues de la Théorie des coques. Mes travaux ne s’appliquent
donc qu’à la guitare.
La modélisation demande de grosses ressources informatiques
?
Pour calculer ce qui se passait dans un volume d’air d’un
rayon d’un mètre autour de la guitare, pendant six secondes,
on pouvait compter jusqu’à trois heures il y a trois ans,
à l’époque de la publication de ma thèse. La
modélisation de l'air pèse très lourd du point de
vue du calcul informatique, parce que c'est en trois dimensions. Imaginez
: on calcule la pression de l’air dans un million de points de l’espace,
50 000 fois par seconde pendant six secondes. Cela fait 300 milliards
de valeurs à calculer ! A titre de comparaison, le temps de calcul
pour calculer les vibrations d'une corde montée sur une plaque
de bois en deux dimensions, sans le couplage à l'air, toujours
pour une durée de six secondes, est de l'ordre de trois minutes
seulement. Trois heures avec l’air contre trois minutes sans ! La
seule vibration d’une corde tendue entre deux points, sans faire
intervenir de plaque, peut être calculée en encore moins
d’une seconde, et la synthèse sonore en temps réel
fait parfois appel à ce type de calculs. Ceux de mon modèle
restent encore un peu lourds pour du temps réel.
Le site de l’Inria :
http://www.inria.fr
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