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Guitare LiveMagazineGuitare Live N° 5Allan Holdsworth, le magicien des accords

Allan Holdsworth, le magicien des accords

Allan Holdsworth, le magicien des accords

La silhouette élancée, très « british », il s’excuse en s’asseyant à la table. « Je suis désolé, il doit y avoir une erreur, je ne sais pas faire de master class ». Bienvenue dans le monde d’Allan Holdsworth, musicien malgré lui, guitariste rêvant de jouer du saxophone, clamant son ignorance tout en ayant influencé plusieurs générations de musiciens en quête de musique atypique et virtuose. A l’occasion d’un rendez-vous en public au Jam à Montpellier, rencontre avec l’un des pionniers du jazz rock.
Par Hervé ALLESANT



Quelles ont été vos influences musicales ?

Dès l’âge de 3-4 ans, j’ai baigné dans un environnement musical. Mon père était un excellent pianiste. Il jouait plutôt du swing, et il possédait une discothèque immense, qui allait du jazz classique à Debussy. D’ailleurs, ce dernier est sûrement mon compositeur favori. Je n’ai jamais voulu être musicien. Je souhaitais être un mélomane, et travailler dans l’électronique. J’aime la musique, certains morceaux m’émeuvent aux larmes, mais jouer d’un instrument ne m’intéressait pas. Je me suis intéressé au saxophone, mais mon père m’a offert une guitare. Alors, plutôt que d’en jouer, je la portais en me regardant dans la glace, en rêvant que j’étais Elvis.
Quand j’ai commencé à en jouer, mon père m’a acheté des livres, et il a lui-même appris à jouer de la guitare. Mais comme il était d’abord pianiste, beaucoup de ce qu’il m’enseignait était transposé directement du piano, au niveau des accords pas exemple. Après quelques années, j’ai joué dans des groupes locaux, jusqu’au jour où je me suis réveillé et on m’a payé pour le faire. Et maintenant je suis ici, ça m’est vraiment tombé dessus. Mais c’était complètement par hasard, tout ça n’est qu’un accident.

Avez vous appris des standards pour jouer dans des Jam-Sessions ?

Non, je n’en connais aucun. Tous ceux que j’ai appris étaient pour moi comme un morceau tout nouveau. Sur l’album « none too soon », j’ai appris les morceaux pour l’album, car je ne les avais jamais joués auparavant. Je n’ai donc pas un répertoire de standards comme peuvent avoir les jazzmen.

Avez vous beaucoup travaillé la guitare ?

Pas au début, car la guitare ne me passionnait pas. Puis, quand mon père s’y est mis, j’y passais des heures. J’avais des périodes, ou je travaillais plus particulièrement quelque chose, et parfois, je ne jouais pas pendant trois mois. Mais c’était sain, car ça me donnait des idées fraîches. Je voulais être connecté à mon cerveau, pas à mes doigts et cette approche me le permettait.

Justement, que travailliez vous, vu que vous ne travailliez pas de standards ?

Je ne jouais pas de morceaux, juste des gammes, des doigtés différents. Puis d’autres moments plus techniques pour essayer de faire sortir quelque chose plus facilement. Parfois, un phrasé que je travaille ressortira quelque temps plus tard, et ça fait alors partie de mon jeu. Si ça ressort trop tôt, ça sonnera rigide, j’essaie donc de travailler puis de passer à autre chose, et ça ressurgira inconsciemment. Je ne sais pas si c’est compréhensible (rires).



Votre approche mathématique dans la recherche de gammes s’applique-t-elle également à votre processus de composition ?

J’ai effectivement utilisé les maths, j’ai cherché les gammes à 5, 6, 7, 8 et 9 notes, dans toutes les combinaisons possibles sur une octave. Beaucoup sont inutiles, mais d’autres moins. J’ai donc nommé celle que j’appréciais X, comme en physique car ce dont on n’est pas encore certain est affublé d’un X, pour « expérimental «. Pour les compositions, je ne pars que d’une gamme, qui pour moi est une couleur, une ambiance. Je joue une figuration d’accord, que je transpose de manière diatonique sur toute la gamme. Les maths n’interviennent donc que dans la recherche initiale de la gamme.

Donc, vous improvisez et si quelque chose vous plait, vous le gardez, ou bien vous entendez dans votre tête ce que vous voulez jouer ?

Je fais les deux. Parfois je joue un peu, et je tombe par hasard sur quelque chose qui me plaît, que j’essaie de développer, et parfois, j’entends des morceaux dans ma tête, qu’il faut que j’apprenne à jouer sur la guitare.

Mais quand vous modulez, vous essayez toutes les possibilités ?

Pour moi, c’est tellement normal, je n’y pense pas. Je vois simplement les harmonies, et je ressens comme des lignes mélodiques passant de l’une à l’autre, avec des étapes ou pas. C’est simplement comme du jonglage, mais je fais souvent tomber les balles.

Vous parlez toujours de gammes pour vos improvisations. Chaque note a-t-elle la même importance pour vous, ou utilisez-vous des notes cibles dans ces gammes ?

Pour moi, à l’origine de la gamme, elles ont effectivement la même importance. Une gamme n’a ni début ni fin, c’est juste une boucle. Cependant, dans un morceau, selon la modulation, chaque note n’a pas le même rôle, car chacune sonne différemment selon le contexte. Lors d’un changement d’harmonie, je vais m’appuyer sur les notes qui sont en commun.

Vous entendez tout quand vous improvisez, ou bien ce sont vos doigts qui se « baladent » ?

Oui, j’entends tout, c’est pour cela que je fais des erreurs, il y a toujours une chance de se ramasser, mon ami Gary Husband dit toujours que l’on ne peut pas creuser un trou sans se retrouver avec de la terre sur les mains. En improvisation, il existe toujours une possibilité de se retrouver à un endroit où l’on ne voulait pas aller si l’on ne joue pas à l’oreille.

Vous dites que parfois vous avez du mal à improviser sur vos propres morceaux la première fois. Quelle est votre approche ?

Quand je compose, je ne pense pas précisément à ce que je joue. Ce n’est qu’après que j’analyse. Et il m’arrive de faire évoluer ce que je joue par dessus mes propres compositions, mais comme on peut le faire avec n’importe quelle musique.

Vous n’écrivez pas la musique, comment communiquez-vous avec vos musiciens, surtout sur de nouveaux morceaux ?

Nous communiquons la musique à travers la musique. Je leur joue simplement le morceau, ou je l’enregistre, puis je le leur donne, pour qu’il l’apprenne. Je ne sais ni lire, ni écrire, je ne sais rien d’ailleurs.

Quand vous composez, comment décidez-vous de la métrique et de ses changements ?

En fait, quand je joue un morceau au départ, je ne le conçois pas selon un rythme particulier. Ce n’est qu’une fois qu’il est écrit que je me pose la question. Je ne pense pas en terme de mesures, mais simplement comme étant une pulsation ou une subdivision de cette pulsation. Cela me vient sous la forme de phrases en fait. Je suis très intéressé par les relevés que mes musiciens se sont créés, car parfois, ils n’ont pas écrit la même chose, et pourtant, ils jouent exactement la même musique.



La métrique de « Secrets » justement, c’est quoi ?

C’est un 4/4 ! Gary Husband, qui a écrit le morceau, a vu une transcription, et c’était n’importe quoi ! Tout était décalé !

Dans vos phrases, vous utilisez également des groupements particuliers : des quintolets, des septolets ?

Mais c’est naturel pour moi. Je ne pense qu’à une période de temps et à ce que je veux faire rentrer dedans.

De nombreux guitaristes on été influencés par votre utilisation de la barre de vibrato, comment avez vous mis au point cette technique ?

J’adore la pedal steel (ndr : guitare à 10 cordes, jouée à plat et en slide, typique de la country) j’en avais deux très bonnes, et j’ai appris à en jouer. J’aimais bien ce son, la manière dont on pouvait glisser vers un accord. Puis j’ai commencé à le faire dans mes solos. Mais après quelques années, tout le monde a commencé à faire pareil. J’ai donc arrêté d’utiliser cette technique, en pensant que c’était sûrement un peu creux, vu qu’il était si facile de le faire pour tout le monde. J’utilise encore quelquefois cette technique, mais pas autant qu’avant.

Avez vous appris d’autres instruments ?

Oui, car je voulais savoir si l’un ou l’autre était plus difficile. J’ai joué de la clarinette, du hautbois, du violon. A la clarinette, j’ai trouvé qu’il était très facile de lire la musique, car une note correspond à un doigté. Tandis qu’à la guitare, on a trop de possibilité. J’aurais volontiers continué à jouer de la clarinette, mais je me faisais mal au tympan à cause de la pression pour souffler dedans. Le problème avec la lecture à la guitare, c’est que mon père m’apprenait à lire la musique, mais je retenais simplement les morceaux après les avoir entendus plusieurs fois. Je me suis donc dit que je n’en avais pas besoin. L’écriture musicale est un moyen de communication entre musiciens, qui a l’avantage d’être rapide. Django ne savait pas lire, le langage de la musique est celui que vous entendez, pas celui qui est sur une page. Tout ce que je sais lire, c’est ce qui est écrit comme en musique contemporaine, ou chaque dièse et bémol est écrit pour chaque note, de cette façon, c’est totalement logique pour moi.

La pratique de ces instruments a-t-elle changé votre approche de la guitare ?

Mon père, quand il m’a enseigné les gammes, ne m’a jamais rien appris avec des cordes à vide. Généralement, quand on vous enseigne la guitare ou le violon, on vous apprend les cordes à vide. Moi non, sauf si c’était le mi grave ou aigu. C’est lui qui m’a montré comment ne pas rester confiné dans un petit espace, mais plutôt d’élargir mon champ d’action sur le manche de la guitare. Il m’a également appris à jouer mes gammes sans l’index, simplement parce que c’était une façon d’apprendre au piano, ça a dû aider.

Des compilations, des « tributes » avec des guitaristes qui vous citent comme une grande influence sortent, et vous ne figurez pas sur la liste des invités. Est- ce parce que l’on ne vous appelle pas, ou parce que vous refusez de participer ?

Ils ne m’ont jamais appelé!



Vous pensez que la musique vous rend bien ce que vous lui donnez ?

Je n’aime plus partir sur la route. Actuellement, je ne suis pas heureux, mais pour des raisons personnelles, pas musicales. Etant jeune, je voulais aller jouer, partir et jouer. Mais je ne peux faire de la musique que lorsque je me sens bien. Cette tournée est éprouvante pour moi, j’en ai marre en fait. Tout ça ne rime à rien, je continuerai, et puis après, je rentrerai chez moi. Ca revient à se demander « pourquoi tu veux jouer », pour moi, ce n’est pas pour partir, quitter ceux que j’aime, me sentir seul en tournée, mais je ne serai pas vraiment heureux tant que je ne serai pas chez moi.

Sentez-vous l’influence que vous avez sur les guitaristes, vous sentez vous dépossédé parfois de votre jeu ?

Non, j’apprécie que les gens aiment ce que je fais. Mais je ne peux pas savoir l’influence que j’ai, car je ne peux le voir que de mon point de vue. Parfois, je n’aime pas moi-même ce que j’ai fait, alors je me demande pourquoi les autres aiment bien.

Et les guitaristes qui font des reprises de vos morceaux ?

C’est très flatteur, mais selon moi, il vaut mieux passer du temps pour développer son propre vocabulaire plutôt que d’essayer de sonner comme quelqu’un d’autre, c’est une perte de temps. Il faut se contenter de ce que l’on a. Sinon c’est comme la chirurgie esthétique, pour ressembler à quelqu’un d’autre.

Avez-vous d’autres passe -temps ?

Je faisais beaucoup de vélo. Après mon divorce, j’ai un peu ralenti. Mais je compte m’y remettre.

Ecoutez-vous la musique que vous écoutiez plus jeune, ou écoutez-vous la musique actuelle ?

Je n’écoute plus mes vieux Cds, car je les ai en tête. Les musiciens avec qui je travaille écoutent des Cds que j’adore, il y a du rock, du grunge, que j’ai vraiment apprécié. Tous les 3-4 ans, j’ai parfois l’envie de réécouter ce que j’avais écouté il y a longtemps.

Y a-t-il des musiciens vivants ou morts avec qui vous souhaiteriez jouer ?

Elvin Jones (ndr : batteur de Coltrane entre autres). Mais les autres avec qui j’aimerais jouer refuseraient sans doute de le faire, donc je n’y pense pas.

Vous avez participé à l’album de Derek Sherinian, avez-vous apprécié cette expérience ?

Oui, car j’aime bien faire ce que je n’aurais pas fait tout seul. Il voulait que je fasse l’album entier, mais je ne souhaitais pas tourner en jouant ce genre de musique, même si j’ai bien aimé y participer. Je suis trop vieux pour ça !

Et le Mike Varney Project avec Frank Gambale ?

Ils m’ont juste envoyé les bandes, j’ai joué par dessus, mixé, et j’ai renvoyé le tout. Mais j’ai bien aimé le faire.

Et l’album produit par Eddie Van Halen ?

Eddie m’a seulement présenté à Warner Bros, mais une fois l’album lancé, j’ai vu qu’ils voulaient m’imposer ce que je devais faire. On s’est donc retrouvé avec seulement six pistes. Ils voulaient changer de batteur, je devais me battre contre tout ça. Ce n’était pas la faute d’Eddie, c’est Warner Bros qui a fait tomber ce projet à l’eau.

Vous avez des projets de Cds à venir ?

J’ai trois albums actuellement non finis. Mais je m’ennuie rapidement. En ce moment, j’aurais envie de ne plus faire de musique. Quand je suis en tournée, je ne pense qu’à une chose, combien de jours il me reste pour rentrer chez moi. Quand j’ai commencé, je ne voulais pas être musicien. Et encore aujourd’hui, je n’ai plus envie de l’être. C’est cyclique.

Prendre du recul, c’est parfois sain ?

Oui, mais on n’a pas toujours la possibilité de prendre cette décision. Et je n’aime pas ça, car ce n’est pas la musique telle que je la conçois. Mon but n’est pas de jouer parce que l’on me paie pour le faire. La musique, c’est ce que je ressens. Est-ce que je me sens bien ? Est-ce que je veux me coucher ? Est-ce que je veux boire ou fumer ? Etre payé pour faire de la musique est très bizarre, car tout ça est complètement fortuit pour moi. Les musiciens avec qui je joue sont des professionnels, ils viennent jouer comme ils vont à un travail, jouent, touchent leur paie, puis repartent dans une autre formation. Pour moi, jouer parce qu’on le veut, ou parce qu’on le doit est une différence essentielle. Mais c’est juste ma conception de la musique.

Le site d’Allan Holdsworth :
http://www.therealallanholdsworth.com

Publié dans le magazine N° 5 de Avril 2005


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