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Guitare LiveMagazineGuitare Live N° 37Roland Dyens et le luthier

Roland Dyens et le luthier

André Stern : De quoi est fait votre travail quotidien ?

Roland Dyens : Je ne fais jamais de technique seule. Mon travail est intérieur, loin des contingences techniques ; c’est un travail intellectuel, parfois loin de la guitare, dans mes pensées ; à un feu rouge par exemple.

Quand je compose, je redécouvre l’instrument, la guitare me fait apprendre, cela n’en finit pas, toujours à nouveau, on en a jamais fait le tour… j’aime explorer les différents accordages, ils multiplient les possibilités jusqu’à l’infini.

André Stern : Parlez-nous des instruments… que pensez-vous, par exemple, du fait que l’on fasse croire à certains qu’un instrument inconfortable "fait les muscles" ?

Roland Dyens : C’est une connerie ! La première chose que je demande à un luthier, c’est que la guitare soit confortable.

Je déteste ces instruments du type tank ! J’ai toujours peur que ces grosses guitares, avec leurs cordes à 1 cm du manche, réveillent ma tendinite endormie… De plus, on les vante en utilisant un mot qui me fait mal : PUISSANCE !

La puissance de la guitare réside dans son intimisme. Laissons la puissance sonore à d’autres instruments !

La guitare ne sera jamais un piano. Les armes de la guitare sont ailleurs, certainement pas dans la testostérone.

De nos jours, la plupart des guitaristes "testent" les guitares en les bastonnant, et ils disent "tu vois comme elle frise ?!". N’importe quelle guitare frise, moi, si je le veux, je fais friser la meilleure des guitares. Mais ce qui est intéressant, c’est de trouver comment ne PAS la faire friser, c’est de repérer les endroits où elle est bonne, c’est de savoir où et comment la… peloter, la rendre heureuse.

Je le sens, c’est viscéral, c’est olfactif, c’est animal, je sais où elle va s’exprimer au mieux. Si on s’en donne la peine, on peut faire sonner n’importe quelle guitare ; j’adore jouer sur une guitare de basse catégorie, et en faire sortir les fleurs, parce qu’il y a moyen de faire cela. J’aime ce pari, chaque guitare recèle de belles choses. Au guitariste de les mettre en valeur.

Lors d’un festival en Italie, j’ai vu un grand guitariste tester 35 guitares en une heure ; une sorte de banc d’essai géant, en public. Il a fait ce que la plupart des guitaristes font : il a joué le même fragment musical 35 fois de la même manière. Son test était illisible, imprégné de la neutralité vague de la moyenne.

Moi, j’aurais procédé très différemment. J’aurais improvisé 35 morceaux spécifiques mettant en avant les particularités de chacune des guitares ! Et là, les gens auraient entendu et compris chaque personnalité !

Publié dans le magazine N° 37 de Mars 2008


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