Thomas Kieffer
Encore inconnu de ceux qui ne l’ont pas vu lors d’une première
partie de Jerry Lee Lewis ou Gary Moore, Thomas Kieffer est un guitariste-chanteur
à l’univers déjà bien débroussaillé.
Si son CV affiche plusieurs groupes de metal, c’est avec sa carrière
solo teintée de folk-rock qu’il devrait accéder à
une certaine reconnaissance et séduire les amateurs de singer-songwriters
dans la veine anglo-saxonne. Présentation d’un espoir !
Propos recueillis par Nicolas Didier Barriac
Tu viens du metal pour te révéler aujourd’hui sur
une scène plus rock. Peux-tu nous présenter ton parcours
musical ?
Thomas Kieffer : J’ai commencé la guitare à l’âge
de quinze ans, en autodidacte. En 1989, à dix-sept ans, j'ai intégré
mon premier groupe de hardcore/metal : Infected Youth influencé
par Bad Brains, No Means No, Fugazi, avec lequel j'ai fait beaucoup de
concerts en Allemagne. Quatre ans après,, je monte un projet metal/fusion:
Green Jaw Cathy influencé par Jane’s Addiction et les Red
Hot Chili Peppers. Encore une fois, c'est en Allemagne que nous avons
fait beaucoup de premières parties comme No-FX, Neurosis. En 1997,
je monte un groupe de heavy stoner rock: P-brane, un mélange de
Queens Of The Stone Age et de Soundgarden. Nous avons notamment ouvert
pour Our Lady Peace, Tito et Tarantula, Gary Lucas... Nous avons fait
de nombreuses dates en Allemagne, en Alsace et aux Eurockéennes
de Belfort. En 2003, alors que les tensions augmentent et les avis divergent
au sein du groupe, nous décidons de nous séparer. J'avais
évolué, le paysage musical dans lequel je vivais était
plus riche. Je décide donc de jouer seul comme un grand, et de
trouver techniquement des solutions afin d'y parvenir sans pour autant
appauvrir mes compositions et mes morceaux.
Tes sources d'inspiration, pour tes textes comme pour la musique,
sont de quels horizons ? Qu’est-ce qui parvient à t’émouvoir
?
T.K. : J’aime beaucoup la musique électronique Air,
Phoenix, Alex Gopher, Nittin Shawney, Daft Punk, le trip-hop à
la Unkle, Portishead et les vieux song-writers comme Nick Drake, Bob Dylan,
John Lennon. Je voulais trouver un compromis entre ces différents
univers. J’ai écrit quelques textes mais je préfère
travailler avec mon auteur et ami Jérome Marchiset. Nous nous connaissons
depuis plus de treize ans maintenant. Il sait utiliser exactement les
mots que j’aime. Il s'adapte parfaitement au nombre de syllabes
dont j'ai besoin, et il apporte de la poésie à mon univers.
Mes textes traitent de sujets vastes. La complexité des rapports
humains, les émotions, la solitude, les moments clés d'une
vie, pas de textes engagés, mais simplement les histoires d'un
homme.
Qu'est-ce qui t'a poussé à te produire seul ? Tu
devais faire des compromis musicaux dans des précédents
groupes ? Le résultat final n’était pas conforme
à ce que tu voulais ?
T.K. : Après plusieurs expériences au sein de formations
metal/rock, j’en avais marre des sonorités saturées
et des amplis à fond sur scène, je voulais plutôt
trouver la puissance dans l’émotion. J’aurais pu m’entourer
de musiciens, mais j'avais fait si souvent des concessions que je ne voulais
plus gérer trois ou quatre personnes. Après tout, j'étais
auteur compositeur et interprète depuis toujours, artistiquement
j'étais déjà autonome. Techniquement, le défi
a été de me mettre à la recherche du bon matériel
et des bons outils, et de les maitriser !
Pourquoi ne pas chanter en français ? Est-ce pour coller
au plus près au folk-rock de tes idoles ?
T.K. : Tu as tout deviné, depuis mon plus jeune âge,
je n’écoute que de la musique anglo-saxonne, et mon chant
est lyrique. Il est, pour moi, plus difficile et moins naturel de placer
des mots en français. La langue française est magnifique
mais difficile à manipuler, j'ai déjà écrit
un ou deux textes, mais ça n'est pas ma priorité, et puis
j'aime tellement ceux que je chante que les remplacer me semble accessoire.
Que penses-tu de la nouvelle vague de singer-songwriters avec
James Blunt, Paolo Nutini, KT Tunstall, etc ?
T.K. : Je connais KT Tunstall, puisqu’on m’a déjà
comparé à elle, nous utilisons la même technique sur
scène, elle écrit de bonnes chansons. En ce qui concerne
James Blunt, ça n'est pas trop ma tasse de thé, je préfère
le travail de Damien Rice, Tom MacRae, Ryan Adams, Pete Yorn, Joseph Arthur
par exemple.
En concert, tu offres un spectacle assez unique en construisant
ta musique couche après couche (ou boucle après boucle)
à l'aide de tes pédales sampler. Est-ce que ce n'est pas
un peu dur de se lâcher totalement sur scène dans ces conditions
?
T.K. : Oui, il faut beaucoup de concentration, j'ai beaucoup de pression
mais c’est ce qui fait monter l’adrénaline. Je n’ai
pas droit à l’erreur, je me mets en danger chaque fois que
je joue. Une boucle enregistrée de travers ou une défaillance
technique et la chanson est détruite. C'est le prix à payer
pour satisfaire mon narcissisme ! Mais parfois les erreurs peuvent être
aussi intéressantes, et, finalement intégrées au
morceau. Elles font la preuve que chaque concert est unique, le public
saisit alors le risque encouru et adhère davantage au principe.
J’utilise ma guitare comme caisse de résonance, une sorte
de djembé pour créer des rythmiques. Je crée une
mélodie qui pourra appuyer le refrain et donner une profondeur
à la chanson. J'applique un effet pour créer une ligne de
basse pour appuyer les solos. Je sample aussi ma voix parfois, je travaille
des couches successives à différentes tonalités pour
donner vraiment l’illusion de la présence de choristes. Ces
couches sont enregistrées successivement alors que le morceau se
construit et, gardées en mémoire, je les active et les désactive,
je leur applique des effets... Sur cette base, je joue la mélodie
de guitare en direct, je simule un orgue, je sature le son pour les solos...
Et je chante !
C'est un exercice périlleux, mais c'est à cette seule condition
que je conserve une certaine liberté sur scène : les boucles
sont indépendantes les unes des autres, elles ne s'accumulent pas,
mais se combinent quand et comme je le souhaite. Avec des bandes préenregistrées,
je m’ennuirais très rapidement et le public aussi…
Quel matériel utilises-tu sur scène ?
T.K. : J’utilise deux sampler live Echoplex, un dédié
à la percussion et l’autre pour les arrangements, une armada
de pédales pour colorer mon son, un boss octaver, une whammy, la
série Stompbox line 6, delay, modulation, distortion, filter modeler,
une Pog ehx, une Moogerfooger Murf, une Moogerfooger low pass filter,
une Tc Helicon pour le traitement des voix, ma guitare électro
Folk Simon & Patrick, etc.
Tu as déjà à ton actif de nombreuses premières
parties prestigieuses comme Canned Heat, Jerry Lee Lewis, Gary Moore ou
John Mayall qui ont toutes eu lieu dans des salles réputées.
Dans tous les cas, ta musique est assez différente de ces artistes
: est-ce que tu as parfois été mal accueilli par le public
?
T.K. : Le public est assez surpris à chaque fois, quand je
monte sur scène avec ma guitare, ils s’attendent à
un concert à la Dylan : guitare, voix. Lors de mes différentes
tournées, l’accueil a toujours été très
bon et très chaleureux. Le public vient me voir, il est curieux,
intrigué et charmé. En première partie de Jerry Lee
Lewis, à l'Olympia, un petit groupe a semé la zizanie et
était très impatient de voir leur idole, mais les deux mille
autres personnes présentes ont su couvrir leur mécontentement.
Cela fait partie du jeu, c'est difficile, mais on m’avait prévenu
de l’intransigeance de certains fans du Killer. Le concert s’est
finalement bien terminé. Je préfère me souvenir du
rappel du public de Gary Moore à Colmar.
Tu prépares actuellement ton premier album qui succédera
à une démo de quatre titres. Comment décrirais-tu
l'évolution entre cette démo et le style que tu vas développer
?
T.K. : Pour ma démo, j’avais demandé les services
d’un batteur, j'ai joué de la basse, de la guitare électrique...
Le résultat ne me ressemble plus vraiment. Je pense que le public
veut vraiment retrouver sur le disque l'originalité du principe
de construction du morceau et ce qu’il a entendu en live. Je vais
vraiment travailler dans ce sens. Les chansons et les boucles seront enregistrées
live, complètement retravaillées pour ne pas perdre le temps
de la mise en place et sans doute enrichies avec des arrangements de cordes,
de piano et de Fender Rhodes.
Dans la scène française actuelle, de qui te sens-tu
le plus proche ?
T.K. : Pour l’instant, à part Nosfell qui travaille
aussi avec des samplers sur scène (mais nos univers respectifs
sont très différents), je ne connais pas d’autre artiste
français proche.
Que peut-on te souhaiter pour la suite ?
T.K. : Beaucoup de concerts ! Je serai d’ailleurs à
l'Olympia le 20 janvier 2007 avec Chuck Berry. Sinon, d’autres rencontres
musicales, un public toujours aussi enthousiaste et peut-être une
collaboration avec une section de cordes (j'en rêve)... Mais surtout
un album qui me ressemble enfin.
Le site de Thomas Kieffer :
http://www.thomas-kieffer.com/ |