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Guitare LiveMagazineGuitare Live N° 1Sylvain Luc, et la musique se fait guitare

Sylvain Luc, et la musique se fait guitare

Sylvain Luc, et la musique se fait guitare

Calé dans la banquette du taxi rouge qui me ramène chez moi, à travers l’obscurité bleue découvrant les gratte-ciels sans fin de Hong Kong, j’écoute encore une fois Ambre, l’album intimiste et précieux de Sylvain Luc. A l’autre bout du monde chinois, quel contraste, quel écart entre cet univers ultra-moderne, si énergique, ne s’interrompant que quelques heures dans la nuit pour repartir encore plus violement sur l’aube du lendemain, et cette musique acoustique qui vient de l’âme !
On dit que le temps ne respecte pas ce qui se fait sans lui. La musique de Sylvain Luc, elle, prend son temps. Et comme pour mieux dilater le rythme de son récit, pour mieux l’enrichir aussi, le guitariste basque a décidé de commettre seul chaque note de son oeuvre. Une fois de plus, Sylvain Luc choisit les sonorités acoustiques de la guitare. Mais en ré-enregistrant les parties, en les superposant, en maltraitant les accordages de l’instrument, en saturant les impressions et en ne retenant qu’un substrat magique.
Ambre est tout simplement un exploit. La performance du plus doué des surdoués guitaristes, certes. Une ôde magnifique à la guitare, également. Mais surtout, Sylvain Luc arrive au bout d’un chemin. Cette fois, c’est l’expression d’un chant fondamentalement guitaristique, qui, peut-être pour la première fois, laisse la place à une intention purement musicale. Avec Ambre, Sylvain Luc cesse enfin d’être un guitariste d’exception pour devenir un très grand…musicien.
Par Patrick Larbier



Quelles raisons t’ont poussé à enregistrer Ambre ?

Sylvain Luc : J’ai enregistré mon tout premier album il y a 11 ans maintenant. C’était en 1993, un album solo complètement improvisé. C’est le producteur de l’époque qui m’avait suggéré cette idée. Moi, je voulais plutôt faire quelque chose d’assez conventionnel, comme un trio, avec contrebasse, batterie ou percussions. En m’ayant entendu improviser un soir, il m’avait dit « Si tu veux faire un disque solo complètement improvisé, je suis là, avec le studio que tu veux, quand tu veux ». Le jour où je me suis senti « prêt » à improviser, à me jeter dans le vide, on a pris une après-midi, et le disque s’est fait. A l’époque, ce disque était un peu comme un miroir, un dédoublement de personnalité : j’écoutais une autre personne jouer.
C’est un drôle de sentiment, très bizarre : j’écoutais ce que j’improvisais, avec ce côte instantané le plus frais possible. J’ai mis du temps pour assumer le fait de jouer en solo. Après, il a fallu le jouer sur scène. Ca voulait dire : je me suis à présent embarqué dans un défi. Il fallait jouer la vraie carte, improviser à chaque fois quelque chose de nouveau sur scène et donc ne pas faire la réplique du disque. Et puis, il y avait une demande de la part du public, d’afficionados qui me suivent depuis quelques années, et qui souhaitaient que je réactualise l’expérience, avec le son actuel de guitare. D’autant qu’avec l’évolution de dix ans, on fait en principe des progrès, notamment dans le fait de raconter, et non pas de démontrer.
Ce disque, Ambre, s’est fait à cette occasion-là, et un peu de la même manière, pendant trois jours. Je suis arrivé en studio sans aucun a priori sur rien, sans surtout savoir ce que j’allais jouer. Je n’avais aucune idée des morceaux que j’allais faire. D’ailleurs, la plupart de mes albums, je les fais comme ça, sans aucune idée préconçue. Comme il y a des overdubs, il y a quand même une discipline à avoir, peut-être pas d’écriture, mais en tous cas une discipline très forte pour pouvoir organiser tout ça ! Tout cela s’est fait dans la spontanéité, dans l’urgence. Sur le moment. Sans clic.

Sans clic ?

Non , il n’y a aucun clic d’aucune sorte. Il y a le fait de jouer avec soi-même. Il n’y a rien de prémédité, y compris dans les arrangements. C’est difficile à expliquer...

C’est assez incroyable !

Je sais, plein de gens ne me croient pas.

Je me passe Ambre en boucle depuis une semaine, et même en essayant de déceler ce qui ne colle pas dans la musique, je n’y arrive pas. Tout coule naturellement. Il n’y a rien qui pose problème.

Ca, c’est la quête de chacun.

Ma question suivante tombe à l’eau. Je souhaitais évoquer les difficultés techniques de l’album, mais tu m’expliques que le processus a été complètement naturel, comme si tu avais simplement parlé pendant trois jours d’affilée.

C’est exactement ça ! L’idée de départ, c’est raconter de la même manière qu’un griot africain. Il y a une tradition au Pays Basque qui s’appelle le Bertchoularisme : les Bertchoularis improvisent, sauf qu’à eux, on leur donne un sujet. Moi, on ne me donne pas de sujet. C’est à moi de trouver le sujet. C’est donc de l’improvisation totale.

D’un côté, en poussant la guitare à ses limites (techniques ou harmoniques), tu magnifies la guitare, et en même temps, on a l’impression que tu voudrais t’en débarrasser. Un peu comme si tu disais : « la guitare ne me suffit pas, il va falloir que je passe à autre chose après ».

Hum….tu vas trop loin !..(silence)…Ta sensation est très juste : moi, je pars du principe que la guitare est quelque chose que je connais depuis tout petit. J’ai commencé à quatre ans. Ca fait partie de moi. Je ne pourrais pas imaginer faire autre chose. De la musique, certes, mais pas un autre métier. L’idée est effectivement très proche de ça : se débarrasser de l’instrument. Pour moi, la guitare peut être un substitut à plein d’autres instruments. Je trouve qu’on peut parfois perdre énormément de temps à plagier d’autres guitaristes. Le but, c’est de trouver et développer sa personnalité, être soi-même. J’ai toujours été très intéressé par plein de musique, et en même temps, j’ai soif de savoir comment fonctionnent d’autres instruments. La guitare me sert donc très souvent de substitut.

Même si ce CD s’est fait de façon complètement naturelle, l’enregistrement t’a-t-il fait progressé d’une certaine façon ?

Oui ! Car tu es obligé d’avoir une conscience accrue sur le moment. C’est naturel, certes, mais ça ne peut pas être aussi naturel que ça. Quand tu joues de façon complètement improvisée, tu racontes ta vie. Donc il ne faut pas être dupe, et on ne peut pas faire ça non plus au premier degré. On apprend doublement dans la mesure où le fait de jouer solo, même avec des overdubs, est presque comme une thérapie. J’aime bien ce sens de l’analyse quasi-inconsciente.

J’adore sur ce CD la version de Gentil Coquelicot.

Qui n’est pas très gentil (sourire).

Pourquoi ?

Je ne le joue pas de façon si gentille. Il est pas si gentil le Coquelicot finalement. Il est un peu rebelle le Coquelicot, un peu rockn’roll.

Pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu résumer tes influences, les grands courants qui t’ont construit ?

Grosso modo, et dans le désordre : Baden Powel, Jeff Beck, Frank Zappa, Ravel, Stravinsky, Fauré, Bach…J’ai commencé le violon à l’âge de 7 ans pendant 4 ans, puis le violoncelle. La culture classique fait partie de mon environnement, mais également tout le côté danse avec le bal, la tradition des musiciens dans les mariages au Pays Basque, le fait de faire danser, aussi bien le rock que le Jazz, la musique brésilienne. Les influences du classique et de tous ces styles se sont croisées en même temps. Il y a aussi des gens comme Joe Pass qui ont été très importants pour moi, et puis des noms un peu communs à tout le monde comme Mac Laughlin, Metheny, Scofield…

Ta musique donne l’impression que tu n’as aucune contrainte. A quel moment as-tu commencé à te sentir complètement libre et à pouvoir partir dans toutes les directions ?

Les gens qui me connaissent depuis longtemps m’ont rapporté que j’ai toujours joué en solo. Moi, je n’avais pas ce sentiment. J’ai joué avec pleins de groupes, expérimentaux, plutôt jazz en faisant parfois des choses bien « pourries », parce que de toutes façons c’est la manière d’apprendre.

Mais quand as-tu commencé à te sentir complètement libre ?

C’est lié à la faculté de chacun à synthétiser. Chez moi, c’est une espèce de bordel immense qui mélange notamment la guitare classique (au niveau technique), le sens du son aux doigts. De toute façon, je me suis toujours connu boulimique d’analyse musicale sans vraiment en avoir une conscience folle. Par exemple, si quelque chose passait à la radio ou la télé, je ne pouvais concevoir de ne pas bien comprendre tout ce qui se jouait, de la partie de batterie à la partie de basse ou de cordes. C’est la musique en général qui me hantait la tête. Par exemple, ça me travaille des années après pour oublier. J’ai toujours été happé et attiré par tout ce qui passait, bon ou mauvais d’ailleurs. Avec ce sens d’analyse : savoir et comprendre ce qui est joué. Un peu comme une analyse permanente. Donc, il a fallu plutôt que j’apprenne à oublier ce que j’entendais sur le moment. Je sais que ça peut paraître bizarre…

Pas forcément. C’est rare en guitare, mais on retrouve cette tendance dans la musique classique. C’était le cas, par exemple, d’un musicien comme Glenn Gould qui était une éponge totale.

C’est ça. C’est un peu le cas pour moi aussi, ce côté éponge où il fallait absolument décortiquer. Il a fallu que j’apprenne à prendre de la distance par rapport à ça, pour pouvoir exprimer le sentiment le plus juste possible, et en dehors de contraintes techniques. C’est la moindre des choses, quand on est musicien, de recourir à toutes les possibilités d’enlever des freins techniques, de façon à davantage maîtriser que faire de la technique, par exemple.

Il faut maîtriser la technique pour mieux pouvoir l’oublier ?

Ca passe par le travail, ça ne vient pas comme ça du jour au lendemain. Il faut travailler, avoir le sens juste de la phrase, du mouvement harmonique, et apprendre à être très clair.

Y a t-il eu un moment où tu as travaillé la technique en priorité ? Quelle est sa place dans ta musique ?

Je ne peux pas vraiment dire que j’ai une méthode. J’ai toujours été assez bordélique. Il faut savoir que je n’ai connu le fait de prendre des vacances sans instrument que depuis quatre ans. Jusque là, je ne pouvais pas imaginer passer un jour sans jouer. C’était simplement impossible pour moi. Et donc, inversement, j’ai pu connaître ce bonheur d’ailleurs, le moment où tu peux vraiment te détacher de ton instrument pour profiter de pleins d’autres choses autour, et ce qui fait que tu retrouves ton instrument avec d’autant plus de plaisir et de bonheur.

Quelle place donnes-tu à la musique classique ?

La claque énorme pour moi a été d’entendre les Suites de Bach pour violoncelle, d’autant plus que j’ai eu à les jouer. Etant adolescent, j’étais plus rebelle, plus Rock n’roll, plus jazz. C’est vrai que l’amour de Bach m’est venu plus tard. C’est tellement…c’est la perfection ! Quelle merveille ! Beaucoup plus que Mozart par exemple. Ce que j’apprécie de Mozart, c’est plutôt le Requiem. Aujourd’hui, c’est la musique classique et contemporaine qui me nourrit le plus. Par musique contemporaine, je pense à Ligeti, Berg, Dutilleux…Et il y a pleins de choses que j’adore chez Messian.

C’est une musique extrêmement... dense.

J’ai beaucoup d’admiration pour les gens qui essaient de découvrir et d’aller de l’avant. C’est courageux.

Pourquoi, étant plus jeune, ne pas avoir orienté ta carrière vers le classique ?

’aurais pu, mais la guitare classique ne m’allait pas. Il y a toujours cette notion de liberté vers laquelle je reviens et dont j’ai besoin. Je n’appréciais pas certaines contraintes, comme la partition. Et puis, le répertoire ne m’allait pas vraiment, je le trouvais un peu pauvre. Je dois reconnaître que les choses ont changé depuis. Mais à l’époque, ça ne me plaisait pas.

Je te propose un petit jeu. Je te cite un guitariste, et tu m’expliques ce qu’il y a de formidable chez lui, et immédiatement après ce que tu trouves de génant, voire décevant chez ce même guitariste. Le premier : Django Reinhardt.

Ce qu’il y a de formidable chez Django ? Il a inscrit une page dans l’histoire de la musique. Ca, c’est fantastique, et bien au-delà de la guitare, c’est-à-dire en plus un courant musical. Django était extrêmement libre, donc ça ne peut que me plaire. Arriver à faire de la musique avec une telle facilité, avec deux doigts, incroyable ! Quelle volonté en plus ! Ca veut dire que Django savait exactement ce qu’il voulait raconter. Il était très clair en plus.

Ce que tu n’aimes pas chez Django ?

Euh….il n’y a pas de choses que je n’aime pas chez Django.

Je m’en doutais un peu. Tu aurais peut-être pu me parler du son…

Ben non, justement…Une anecdote : j’ai redécouvert Django sur le tard, parce qu’étant jeune - on est souvent jeune et con justement, j’avais plein d’a priori sur le son, et je trouvais que le son de Django était vieillot. Evidemment, je n’avais pas fait le rapprochement de l’enregistrement qui était très vieux et des moyens de l’époque. Or justement, Django avait un son phénoménal. La première chose qui caractérise un musicien, pour moi, c’est le son. Pas autre chose, pas le phrasé. C’est le son qu’il envoie. Il avait un son de…cheval !

Jimi Hendrix ?

Pareil, j’ai découvert assez tard. Je ne faisais pas parti des gens qui sont Hendrix à tout pris. Il y a des choses que j’aime chez Hendrix parce qu’il a révolutionné certaines choses, notamment ce fil directeur, ce dénominateur commun qui est le son. Je pense que Hendrix aurait pu aller beaucoup plus loin. Il est mort bien trop tôt. Je suis quelqu’un de très sensible à l’harmonie, et je suis convaincu que Hendrix serait allé tôt ou tard vers l’harmonie. Parce qu’il était fasciné par ça, c’est évident. Grosso modo, de l’oeuvre de Hendrix, il y a plein de belles choses. Mais pour d’autres choses qui sont sorties… ça aurait été bien de le consulter Là-Haut. Il n’aurait sans doute pas tellement aimé que ça sorte.

On pourrait dire qu’il se désaccordait très vite sur scène à cause de son vibrato, et que ça peut géner l’écoute aujourd’hui ?

(sur un ton de désaccord formel) Il y a des gens qui jouent désaccordés mais qui ne sont pas faux. Il y a des gens qui jouent juste. Je pense qu’on n’est pas toujours obligé de jouer juste, au sens « In Tune «. Pourvu qu’on soit juste, et surtout que le sentiment soit juste.

Joe Satriani ?

Il ne fait pas partie des gens que j’ai écoutés et qui m’ont influencé. Ce n’est pas quelque chose qui me touche énormément. C’est en revanche quelqu’un que je respecte parce qu’il a incité toute une génération à faire de la guitare. Donc c’est un Monsieur qui a un pouvoir. Je n’ai pas ses disques à la maison. Je suis un peu passé à côté.

Le dernier dont je voulais parler, c’est… Sylvain Luc. Alors, quoi de formidable quand on écoute Sylvain Luc ? Et quand on l’écoute, sur quels points se dit-on « ah, ça pourrait être vraiment mieux !» ?

Ce qu’on peut se dire, c’est que… ça peut être vraiment mieux ! (rires). On n’a jamais mieux à faire que sur le prochain album. On progresse aussi beaucoup avec la Vie tout simplement. J’espère qu’elle me permettra de développer ce que j’ai à développer. J’en suis loin, je peux te dire ça. Je suis loin des choses que j’ai en tête : il me reste beaucoup à découvrir. Je suis ravi de voir que ma musique commence à donner des envies, et ça ouvre des perspectives - d’après ce qu’on me dit et me rapporte - un peu différentes par rapport à l’instrument et la musique. Si je peux apporter ça, je suis déjà heureux. J’ai plein de choses à développer, de choses qui ne vont pas.

Quand on t’écoute, on se dit parfois : « on n’a jamais entendu ça ! ». Mais finalement, es-tu vraiment tout seul à jouer comme ça ? Y a t-il d’autres Sylvain Luc, comme toi, en Allemagne, en Italie, ou ailleurs ? Ou es-tu un cas à part ?

(sur un ton légèrement agacé) Je n’en sais rien…Je ne peux pas te répondre là-dessus. J’essaie d’avancer, de jouer avec pleins de gens. J’aime beaucoup la rencontre. La musique, c’est donner du cœur, être généreux, quelle que soit la palette ; ça peut aller dans le sombre, le très clair. Je crois qu’il y a pleins de musiciens à travers le monde. Je crois qu’il y a pleins de Sylvain Luc, et plein de gens qui vont développer la guitare beaucoup plus loin, et c’est tant mieux.

Reconnais qu’il y a un problème d’information. Toi-même, cela ne fait que depuis quelques années qu’on te connaît.

Bien sûr, Il y a forcément un petit gosse, quelque part dans le monde, qui joue. On ne sait pas ce qu’il va devenir. Ca dépend tellement de la trajectoire, de la vie. Il y a des gens qui étaient extrêmement doués mais qui ont butté sur une connerie, et ça les a handicapés et ils sont restés scotchés sur un truc. Il y a la faculté de pouvoir évoluer aussi. Il y a en ce moment des gens doués, de par le monde. Par pays, c’est vrai, c’est assez rare. Il n’y en a pas à tous les coins de rue, mais de par le monde, il y a plein de gens très doués qui vont faire avancer l’instrument, mais aussi la musique. Le seul petit problème, c’est leur évolution. Est-ce qu’ils vont se concentrer sur des chapelles ? Il y a beaucoup de chapelles - par exemple le picking, ou un autre style. C’est quelque chose qui a beaucoup évolué aussi. Les nouvelles générations sont assez ouvertes à la musique en général. Ce qui tue la musique, c’est d’être uniquement sur une seule musique. C’est pour ça que je ne peux pas me prétendre jazzman. Je ne suis pas un jazzman. J’aime trop de choses pour n’être que jazzman.

Tu explores toutes les sonorités de la guitare acoustique, mais tu n’utilises jamais de pédales d’effets. On pourrait imaginer des expérimentations à la Mc Laughlin, mais toi, tu restes toujours à un son pur. Pourquoi ?

Pendant des années, j’ai joué électrique - en faisant par exemple beaucoup d’accompagnement de chanson- et j’ai fait beaucoup de séances de studio. Donc c’était un peu mon métier de me servir d’effets. J’aime bien cette idée de me promener juste avec ma guitare, une boite de direct, tu te branches, et tu joues. Et les effets, c’est les effets que tu as dans ta tête et dans tes mains. J’aime bien ce côté artisanal, où il faut produire les effets soi-même. Je ne suis pas réfractaire aux effets, mais un effet reste un effet.

En concert, tu as pris une habitude qui impressionne beaucoup de monde : tu demandes au public de te donner n’importe quel nom de morceau, et tu le joues tout de suite, à ta façon. Tu cales parfois ?

C’est très sincère dans la démarche. C’est souvent lors d’un rappel, alors que je ne sais pas quoi jouer. Et comme en général, il y a des gens en face (!), je leur demande s’ils ont une idée. La dernière fois, c’était à Dijon. Le second soir, ça a donné quelque chose de très intéressant, parce que tu imagines bien qu’il y a plein de gens qui répondent en même temps. Alors il y a eu, en même temps, Guitar Boogie, Les Bancs publics de Brassens, et une Bossa Nova. J’ai essayé de faire un titre avec tout ça…Guitar Boogie inséré dans les Bancs Publics, joués eux même en 4 temps, un peu comme une Bossa Nova. C’est un jeu que j’aime bien…

Lorsque je t’écoute, il y a quelque chose qui me laisse sur ma faim. Sur tes CD, on peut apprécier tes énormes talents de guitariste, mais pas vraiment de compositeur. Si bien qu’on retient de toi beaucoup plus l’image d’un guitariste-musicicien, exceptionnel certes, mais pas de compositeur comme pourrait l’être un Pat Metheny.

….(hésitation). Pour te répondre, je vais te décortiquer le morceau Ambre. J’étais en train de jouer des accords en harmoniques que je désaccordais sur un autre overdub. Tout en jouant ça, je n’étais pas convaincu du résultat. Alors j’ai demandé à arrêter l’enregistrement par ce que ça ne me convenait pas. Et donc je suis arrivé sur un espèce d’open tuning, et j’ai lancé à l’ingénieur du son : « par contre, continue à prendre ça». Donc je ne connaissais pas cet accordage, et toujours pas aujourd’hui d’ailleurs. Je n’ai donc pas d’automatisme sur ce morceau. Ambre s’est fait d’une traite, mais cela reste une composition du début à la fin. D’ailleurs, il y a un gars en Suisse qui s’est pris au défi de relever tout ce que je fais : il a relevé Ambre dans sa totalité.

Ca doit faire 400 pages !

Oui, c’est assez long…C’est prodigieux. Quel boulot ! Il a trouvé l’accordage, toutes les notes, il a passé un temps de fou. Il me disait, « d’accord c’est complètement fou, jamais je ne pourrai le jouer comme toi, mais au moins je pourrai le jouer …à deux à l’heure «. Pour lui, c’est une composition à part entière, rien ne se répète, et c’est du début à la fin quelque chose de nouveau. En même temps, tu as raison dans ce que tu dis, parce que ce que je recherche à présent, ou plutôt l’étape d’après, ça va être de fixer davantage, et de faire effectivement des compositions, vraiment. Mais pour moi, c’est la même chose, c’est de la composition instantanée.

C’est un peu une pirouette que de dire que l’impro est une composition de l’instant. En t’écoutant sur le CD, une raison pour laquelle on n’est pas satisfait complètement, toutes mesures gardées, c’est parce qu’il n’y a pas LA composition, LA chanson qu’on retient et qui marque.

Mais tu as raison ! Il me reste à composer, mais toute ma vie j’aurai ce sentiment lié au besoin d’improvisation. Je pense que même Metheny partage ce sentiment. C’est vrai que c’est un objectif et j’ai envie de développer ça, et maintenant.

Le jour où tu passes à l’étape composition, le public va s’élargir complètement. Ce n’est pas forcément ton but, mais dans les faits c’est ce qui va se passer : tu vas toucher un public beaucoup plus large.

Oui, peut-être, je n’en sais rien du tout. Est-ce qu’il faut que je touche un maximum de personnes ?

Je ne dis certainement pas que c’est un but. Mais dans les faits, c’est ce qui se passerait.

Je tiens à garder quelque chose de personnel. Tu me posais la question de savoir si j’ai rencontré d’autres Sylvain Luc dans d’autres pays. La démarche, je ne l’ai rencontrée chez personne, à savoir : chaque concert est unique, et ne ressemble en rien au disque. Si ce n’est le point commun qui est que c’est la même personne qui joue. Chaque concert est un disque. Je me fixe toujours de faire la composition la plus aboutie possible, sans pour autant faire n’importe quoi. L’idée c’est de construire sur scène avec les gens.

C’est ta caractéristique : indépendamment du coté spectaculaire dans l’improvisation, c’est la sensation de liberté dans ton jeu et ta musique. Quoi que tu fasses, quelque soit la direction, ça va aller.

Ce qui n’empêche pas la peur de la page blanche ! Elle est carrément très dangereuse la page blanche. Il est indispensable de se nourrir de plein de choses, de peinture, de la Vie. Il faut avoir des choses à raconter !

Pour finir, quelques mots sur tes projets ?

Comme ce qu’on a dit, fixer les choses au niveau de la composition. Je vais également faire une création autour de la musique basque traditionnelle, mais avec des musiciens d’univers complètement différents, un percussionniste iranien, un chanteur congolais ; ouvrir tout ça, autour de l’improvisation et de la musique traditionnelle. Mon prochain groupe sera certainement avec un violoncelle, percussions, batterie, et un instrument à vent. Il y a des choses prévues du côté des Etats-Unis, notamment un projet autour de Eric Harlan, batteur de Mac Coy Tyner, ainsi que des gens très connus dans l’univers du Jazz. Et puis, une vidéo sans doute.

Publié dans le magazine N° 1 de Décembre 2004


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