La guitariste biélo-russe Natalia Lipnitskaya vient
de remporter le premier prix du concours international de guitare de Savona
en Italie, avec une deuxième place décrochée par
le jeune français Thibault Cauvin. Guitariste classique depuis
l’âge de neuf ans, elle prépare un nouvel album enregistré
en France. A l’occasion d’une rencontre à Paris, elle
s'est confiée sur son expérience des concours internationaux.
Tu es née à Minsk il y a vingt-cinq ans, et l’Europe
s’ouvre de plus en plus à toi. Le public italien a pu découvrir
ton nom puisque tu as eu le premier prix à Savona en septembre,
et tu as déjà un parcours impressionnant en Europe de l’Est…
C’est vrai que j’ai eu la chance de remporter des concours,
ou d’être bien classée, dans mon pays puis en Pologne,
en Autriche, en République Tchèque…Chaque concours
m’apporte quelque chose, même s’il n’y a pas de
prix. Evidemment, j’apprécie beaucoup cette reconnaissance,
c’est le résultat de beaucoup, beaucoup d’heures de
travail.
Le concours de Savona a réuni des guitaristes d’Argentine,
du Brésil, du Canada et d’ailleurs. Le public a désigné
Thibault Cauvin, et le jury t’a donné sa préférence.
Il y a souvent deux types de votes ? Quelles sont les contraintes d’un
concours, pour les non initiés ?
Cela dépend, parfois les morceaux sont imposés, et on ne
joue pas toujours en public. L’idéal est de travailler une
pièce que l’on aime. Par exemple, pour les éliminatoires
d’un précédent concours, j’avais interprété
un morceau baroque puis une sonate pour flûte et basse de Bach,
adaptée par David Russell. Sinon, c’est comme être
obligée de discuter avec quelqu’un que tu n’aimes pas,
et le résultat n’est forcément pas aussi bon. Et puis,
il faut accepter la décision du jury, et quand on est mal classé,
ce n’est pas toujours facile surtout si on est convaincue qu’on
a été meilleure que les autres ! (rires)
Certains concours t’ont laissé de mauvais souvenirs
?
Non, mais le jury inspire souvent de la crainte, les participants sont
parfois froids et il arrive que personne n’applaudisse. Quand c’est
le cas, je trouve ça triste et dommage. J’ai déjà
entendu dire que les compétitions entre guitaristes ne devraient
pas exister à cause de ce côté un peu sévère.
Mais c’est le meilleur moyen de se faire connaître. On est
dans des conditions d’évaluation de très haut niveau.
Il faut juste accepter les règles. Lors d’un concours en
France à Anthony, en avril dernier, j’avais dû jouer
la première (parmi onze participants) vers 9h30. Ce n’est
pas facile d’être à fond dans l’interprétation
dès le matin, commencer en premier n’est pas évident.
On est moins chaud, le jury est peut-être plus difficile…c’est
comme passer en dernier, c’est la place qu’on laisserait bien
aux autres.
Une musique comme le rock ou le jazz est, pour beaucoup de jeunes
musiciens, synonyme de rébellion, de liberté, d’énergie
ou d’émotion. Comment décrirais-tu la guitare classique
? Il y a un paradoxe chez certains guitaristes : ils prennent le classique
en référence, en tant que source de leur musique, tout en
lui reprochant une image vieillote…
Certains pensent à tort que la musique classique est tournée
vers le passé, avec un répertoire ancien. Mais on peut toujours
apporter quelque chose de nouveau. Lorsqu’on cherche à décrocher
des prix lors des concours, on doit évidemment respecter la pièce
du compositeur et privilégier les œuvres classiques. Mais
le guitariste peut toujours faire naître de nouveaux sentiments
chez le public. Est-ce qu’il y a un manque de liberté ? L’improvisation
a une place souvent limitée par rapport aux autres musiques. Mais
cela dépend beaucoup des morceaux.
Le respect à la lettre de la partition, c’est une
cause de querelle fréquente entre guitaristes…
Pour moi, il existe une interprétation idéale, une façon
de faire sonner un morceau. Il faut juste la trouver. L’improvisation
est intéressante mais l’interprétation demande déjà
un gros travail. La préparation pour les concours demande beaucoup
d’énergie, je me concentre sur ces points aujourd’hui.
Quels sentiments t’inspire la guitare ? Entre la mélancolie
ou le brio, quels climats préfères-tu ?
Cela dépend vraiment du titre et de la situation. Ce qui compte
quand je découvre une nouvelle pièce, quel que soit son
style, c’est de l’aimer. D’en tomber amoureuse, au sens
propre. Je peux dire que je suis amoureuse de certaines pièces.
As-tu le temps ou l’envie d’écouter d’autres
musiques, rock, jazz ?
Cela m’intéresserait mais malheureusement, le temps me manque
pour ça.
Tu as un projet d’album en cours…
Nous y travaillons en France, avec Fabien Courtois et Pierre Chaze. La
guitare classique est ouverte et il y a beaucoup à faire pour des
titres peu communs avec la musique méditerranéenne, les
sensibilités espagnoles ou italiennes. Rien n’oblige à
toujours jouer Asturias ou les grands classiques, tout le monde l’a
déjà fait avant. Le fait de jouer avec d’autres musiciens
biélo-russes, sur des musiques slaves, m’intéresse
aussi.
Le site de Natalia Lipnitskaya :
http://nataliaguitar.com
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