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Kiko Loureiro, brésilien en apesanteur

Un brésilien en apesanteur

Kiko Loureiro est le genre de musicos qu’on aimerait avoir comme grand frère. D’un naturel amical, il met à l’aise et donne l’impression de respirer la zénitude absolue. Lors d’une interview, tissant par la magie du téléphone un lien entre la contrée de la bourée et celle de la salsa, le guitariste faisait l’effort de parler français, quitte à y passer le temps pour bien se faire comprendre. Au Brésil, son pays natal, le guitariste connaît un vif succès avec le groupe de metal Angra. Avec son premier album solo, No Gravity, le virtuose prend du recul et propose une galette aux différents styles (rock instrumental, metal, bossa). Avec à l’intérieur de vraies perles pour tous les amateurs de guitare instrumentale, même allergiques à la disto. Car d’un titre à l’autre on passe facilement du gros riff furibard à la belle ballade printanière, avec une influence subtile des percussions et de la musique brésilienne. Le résultat ? Une petite merveille.
Par Didier CASTELNAU



No Gravity est ton premier album solo, et je l’ai écouté pas mal de fois. Plusieurs titres m’ont emballé ! Le premier « Enfermo » démarre fort, très rapide avec des tensions, de la disto et pas mal de fougue. Peut-être trop. Nul doute qu’il plaira aux amateurs de heavy. Mais au début, j’ai trouvé ça presque dommage. Car quand on écoute l’album entier, d’autres morceaux acoustiques ou mélodieux font de toi un guitariste qui peut plaire à un large public, pas seulement rock !

Kiko Loureiro, avec un accent brésilien inimitable : Cet avis m’intéresse car c’est difficile pour moi de savoir comment l’album est perçu. J’aime beaucoup la musique instrumentale, et des guitaristes comme Steve Vai ou Joe Satriani, Stanley Jordan. J’adore aussi la musique brésilienne. Pour un premier album, c’était difficile de trouver un chemin et un son. Le public me connaît comme un guitariste de heavy-metal et pas comme un guitariste au sens large, enfin je crois. J’aime le heavy, l’album comporte quatre chansons assez fortes. Mais les autres compositions sont plus proches de la guitare rock des années 80, et deux titres acoustiques ont un caractère très brésilien. En fait, tous mes morceaux ont quelque chose de latin. Même s’il y a de la distorsion, j’ai toujours la musique brésilienne naturellement en moi, et ça se sent au niveau rythmique.

Les titres sont très travaillés et couvrent différentes techniques, différents tempos. Tu as voulu prouver au monde que tu pouvais être l’égal d’un Satriani ?

Non, c’est juste l’envie de faire un album de guitare. Quand j’étais adolescent, j’écoutais souvent des albums instrumentaux. C’était un rêve pour moi de faire pareil un jour. Avec Angra, ce n’était pas possible et les tournées, les nombreux concerts ne m’en laissaient pas le temps. J’ai gardé beaucoup d’idées qui n’ont pas pu être exploitées lors de la composition de Temple of shadows, le dernier album d’Angra (sorti en novembre 2004, ndr). J’ai alors contacté Mike Terrana pour jouer les pistes de batterie.

Pourquoi lui ?

Il sait jouer dans de nombreux styles différents, rock, jazz, latin…Il a un jeu puissant et est très professionnel. Il m’a demandé «Tu as combien de jours pour enregistrer en studio ?». J’ai répondu deux. Il a tout joué en une journée, et ajouté quelques mesures qui manquaient le lendemain. J’ai juste eu à lui expliquer ce que je voulais, il sait jouer en peu de temps car il écrit très vite la musique.

Impressionnant…Vous vous étiez quand même vu auparavant non ?

Oui. On s’est rencontré au moment de la Frankfurt Messe. Mike habite à Hambourg et pendant trois jours, je suis resté là-bas pour lui faire écouter mes idées de morceaux. J’ai tout organisé à ce moment là : nous avons enregistré la batterie puis les autres instruments en Allemagne au studio House of Audio, et j’ai composé et enregistré tout l’album dans la foulée, en 23 jours. C’était un pari un peu fou, car je n’avais pas eu le temps de travailler quoi que ce soit avant, j’étais à fond sur les projets d’Angra. Le groupe est très connu au Brésil, nous passons à la radio, avec des concerts dans les grands festivals pop ou rock. Alors dans No Gravity, beaucoup de parties et de solos ont été écrits ou improvisés dans l’urgence, juste au moment de l’enregistrement. C’est le cas pour «Beautiful langage», un titre acoustique de guitare brésilienne créé sur le moment au studio. J’ai l’habitude de composer dans l’instant.



Pas de maquette en home-studio donc ?

Un peu, en essayant une batterie virtuelle mais ce n’est pas bon. Un batteur comme Mike ou Dennis Ward à la réalisation, qui est bassiste, peuvent apporter des idées, des mélodies. Mais avant d’enregistrer, j’avais déjà tout dans la tête.

C’est toi qui as joué la basse ?

Oui, tous les instruments et des percussions (djembé) sauf la batterie. J’ai composé des parties de piano. J’ai aussi fait les balais sur la caisse claire pour un titre.

Pourquoi ce nom d’album No Gravity ?

Souvent, les gens me demandent les sentiments que j’éprouve quand je joue de la guitare. No Gravity est ma réponse. On voit trop la guitare en terme d’instrument, d’accords, de gammes, une chose mathématique. L’idéal pour moi est de ne penser à rien, se laisser transporter et voyager avec la musique. Etre en état d’apesanteur et se concentrer sur ce qu’on ressent. Tous les musiciens devraient sentir cela. Quand tu joues de la musique instrumentale, sans parole, tu choisis tes sentiments. Tu flottes dans un espace à toi. C’est un peu bizarre, il faut aimer le rock et le jazz instrumental pour comprendre, et c’est un petit monde.

Qu’est-ce qui te fait dire cela ?

Lorsque j’expliquais que j’aller enregistrer un album solo, tout le monde me demandait qui allait chanter. C’est comme si les gens ne concevaient pas la musique seule. C’est le sens de mon titre «Endangered species». Les espèces menacées, ce sont les musiciens ! Aujourd’hui, dans les écoles de musique, on apprend à créer sans devoir maîtriser l’instrument. On peut corriger un bend faux à la guitare, monter une voix trop basse du chanteur, caler le rythme un peu raté d’une batterie.
Le musicien capable de bien jouer va devenir rare. Et le batteur commence souvent à être remplacé par l’ordinateur. Les étudiants en musique sont en train de changer la façon de créer la musique. Ils savent qu’on peut corriger. Alors je rencontre de plus en plus de gens davantage préoccupés de signer un contrat avec une maison de disque ou faire leur promotion en cherchant le succès, que travailler leur instrument pour jouer correctement.

Tu termines l’album par un titre acoustique de tradition typiquement brésilienne, Choro de Criança. Les sonorités sont familières et renvoient à d’autres guitaristes brésiliens célèbres comme Jobim.

Oui. Les Choros sont des musiques mélancoliques, parfois rapides. Choro de Criança signifie «les pleurs des enfants». C’est un peu le blues des brésiliens, avec une harmonie plus riche.



Ce genre de titre peut t’aider à te faire connaître d’un public plus large que le rock instrumental. C’est voulu ?

Oui. Le quatrième titre «No Gravity» est une ballade. J’ai composé un morceau en tapping à deux mains en son clair pour montrer toute la musique que j’aime. « La force de l’âme » est aussi un titre que chacun peut écouter. Pour moi, tous les instruments ont une âme et je les respecte.

D’où vient ce titre français ?

D’une expression lue dans le livre « Le violon noir », de Maxence Fermine. Il raconte une histoire spirituelle qui parle d’amour de la musique, et je trouvais l’expression belle.

Au fait, comment se fait-il que tu parles français ?

Pas de classe, pas de cours. La dernière fois que j’ai parlé français, c’était lors de mon passage en France l’an dernier. Ma collaboratrice pour la promotion en Europe est à Genève, donc on parle en français. Les contacts que j’ai avec la France, c’est avec les journaux, la chaîne TV5 à la télévision, et les emails mais j’ai du mal à écrire le français.

Ton site web est réussi, dommage qu’il n’y ait pas plus de textes traduits du portugais vers le français…

Oui. La personne qui s’occupe du site d’Angra-France.net (Mike) va m’aider pour faire une page spéciale sur No Gravity. Ce sera sur l’espace kikoloureiro.com.br. Actuellement, l’espace en portuguais montre les sessions d’enregistrements. Il y a aussi une petite vidéo et un journal de bord qui raconte mes impressions. On va bientôt traduire tout ça.

Le site de Kiko Loureiro :
http://www.kikoloureiro.com.br

Publié dans le magazine N° 3 de Février 2005


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