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La Vihuela, ancêtre de la guitare Qu’il joue du rock, du jazz, du flamenco, du classique, du baroque – de la folk, de l’électrique, de la dobro ou de l’une des formes dont l’incroyable diversité caractérise notre instrument : tout guitariste est concerné par la vihuela, l’ancêtre de notre guitare. Entourée de toutes sortes de légendes - chacun pouvant se permettre les hypothèses les plus farfelues – la vihuela est longtemps restée à l’état de mythe. Pour vos lectures d’été, André Stern vous propose ce dossier exclusif qui trie les informations disponibles et explore l'histoire pleine de mystères de ce noble ancêtre. C’est dans le dernier tiers du 15ème siècle, dans la région de Valencia, en Espagne, que la vihuela a, selon toute probabilité, vu le jour, lors d’une interprétation locale et originale des instruments arabes. En tant que guitariste et en tant que luthier, je m’intéresse depuis bien longtemps à cet instrument précurseur. Une de mes prochaines constructions sera une vihuela, pour laquelle, comme chacun de mes prédécesseurs, je tâcherai de réunir toutes les connaissances amassées au cours des 30 dernières années par de nombreux historiens, luthiers, musiciens et musicologues. Mais, comme tous ceux qui s’y intéressent, je mettrai une bonne part de subjectivité dans le choix de ce qui, selon moi, doit impérativement caractériser une vihuela : forme, décoration, proportions, dessin, sonorité… on trouvera, dans "ma" vihuela, ce que mon goût, ma culture et mon instinct auront filtré des informations - de toute manière incomplètes - disponibles à cette heure. Car il est aujourd’hui véritablement impossible de dire avec certitude et précision ce qu’était une vihuela. Les informations dont nous disposons, réunies dans toutes sortes de domaines, sont de plus en plus riches, mais aucune d’entre elles ne permet de tirer de conclusion absolue et définitive. Et c’est logique : au 16ème siècle , les choses étaient moins définitives que de nos jours, et il est peu probable qu’une forme de vihuela "standard" ait existé. Aucune des diverses illustrations qui nous sont parvenues ne représente exactement le même instrument. La première mention écrite d’une vihuela date de 1445, dans un poème d’Alonso Alvarez de Villasandino : "Luth rebec ou vihuela / Je n’ai nul désir de jouer". On doit admettre cette diversité (qui préfigure celle de la guitare actuelle) pour aborder la vihuela. On doit admettre, par exemple, qu’il est impossible d’unifier les avis sur le cordage de l’instrument. S’il est dorénavant acquis que la vihuela possédait six cordes, plus exactement six chœurs (paires de cordes côte-à-côte), les avis divergent au sujet de la sixième corde : était-elle une chanterelle unique ou était-ce, également, un chœur ? Et qu’en est-il des trois chœurs graves ; étaient-ils accordés à l’unisson ou avec un décalage d’une octave entre les deux cordes jumelles ? Il me parait sensé d’imaginer que tous ces types de cordages existaient, et que l’on trouvait des vihuelas montées de diverses manières. Dans un même ordre d’idées, il est tout à fait inutile de vouloir à tout prix classifier la vihuela d’avant 1500 en trois catégories bien distinctes : vihuela de mano (jouée avec les doigts), vihuela de arco (jouée avec un archet) et vihuela de braccio (jouée sur l’épaule, comme un violon) A l’origine, en effet, ces instruments étaient construits par les mêmes facteurs qui, tous, expérimentaient une multitude de procédés et de formes. Ce large éventail d’instruments permettait aux musiciens de choisir précisément les instruments correspondant à leur prédilection et à leur répertoire. "Anjo com viola" (1550 – 1560 environ), Igreja da Misericórdia (Abrantes, Portugal) (notez qu’il y a 11 chevilles dans la tête de l’instrument, ce qui indique qu’il possède 5 chœurs et une chanterelle…)
Les quatre vihuelas survivantes (dans l’ordre chronologique de leur découverte) Seules quatre vihuelas ont survécu jusqu'à nos jours, dont une au sujet de laquelle les avis sont partagés. Une telle rareté laisse pantois, surtout si l’on considère que la vihuela était un des instruments les plus populaires de son époque et qu’elle orchestra, comme la guitare par la suite, un grand mélange des classes sociales. Appréciée des uns comme des autres, elle permettait aux innombrables musiciens du quotidien populaire de jouer des œuvres réservées, jusque-là, aux compositeurs et interprètes employés par les nobles et les cours d’Europe. Le nombre de vihuelas construites est difficile à évaluer : les noms d’environ 130 violeros – les fabricants de vihuelas – nous sont parvenus, et l’on peut estimer qu’ils ont construit, chacun, une cinquantaine d’instruments. Mais ce chiffre ne représente probablement qu’un dixième du nombre de facteurs de vihuela qui ont œuvré au cours du 16ème siècle. Artisans prospères, les violeros, soumis à des examens sévères et absolument obligatoires, se réunissaient en corporations régies par des chartes et des règlements draconiens. En dehors des critères, très objectifs, visant à déterminer le savoir-faire technique des violeros, la lecture des énoncés d’examen de l’époque laisse apparaître d’autres critères, plus subjectifs, tels la race et la religion. L’absence d’instruments survivants explique que, jusqu’au milieu du 20ème siècle, on se soit contenté de connaître la vihuela par son large répertoire (qui nous est parvenu intact) sans connaître l’instrument lui-même.
J’émets une hypothèse personnelle au sujet de cet instrument et de ses onze chevilles, dont une centrale. J’ai, moi-même, construit une guitare dont la tête est percée en son centre pour permettre le passage d’une cheville. Cela rend possible le montage d’une 7ème corde amovible, afin de disposer de deux instruments en un. Il me paraît raisonnable d’imaginer que les facteurs d’instruments et les musiciens de cette époque de transition (1581) aient souhaité disposer d’un instrument polyvalent capable, par un simple changement de cordage, d’être alternativement une vihuela à six cordes ou une guitare à 5 chœurs. Cependant, le 11ème orifice de la vihuela "Diaz" se positionne un peu en hiatus par rapport aux motifs des filets décoratifs, aussi bien à l’avant qu’à l’arrière de la tête. Il interrompt tout bonnement leur dessin, ce que ne font pas les autres chevilles. Je n’exclurais donc pas que cette corde supplémentaire ait été ajoutée a posteriori : un vihueliste séduit par le répertoire de la guitare puis, une fois sur le terrain, se ravisant et faisant transformer son instrument en vihuela…
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