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Guitare LiveMagazineGuitare Live N° 15Toto : Steve Lukather en eaux troubles

Toto : Steve Lukather en eaux troubles

Toto : Steve Lukather en eaux troubles

Guitariste de légende ayant travaillé avec les plus grands musiciens et producteurs (Jeff Beck, Paul McCartney, George Harrison, Elton John, Aretha Franklin, Eddie Van Halen, Quincy Jones, Trevor Horn etc), Steve Lukather est surtout connu pour être le leader de l’usine à tubes Toto. Loin de prendre sa retraite, le groupe vient de sortir Falling In Between, un album pop/rock revigorant qui flirte avec le progressif. Il nous explique les raisons de cette alchimie.

Propos recueillis par Nicolas Didier

Falling In Between comporte des relents progressifs et jazz qui jusqu’ici n’avaient jamais été aussi explicites. Pour autant le côté rock est toujours bien présent. C’est difficile de vous cataloguer…
Je pense vraiment que nous avons le cul entre deux chaises. Nous touchons à plein de styles. Tout le monde veut systématiquement nous classifier dans la pop, le rock, le jazz, le funk, la world music, la fusion ou que sais-je encore ! Pour moi, nous sommes tout cela à la fois. Tous ces styles de musique s’intègrent très bien à notre manière de concevoir la musique et à notre façon de composer. Pour Falling In Between, nous avons voulu faire quelque chose d’inédit. Je me rappelle avoir annoncé à mon ami John Petrucci que notre nouveau disque aurait des influences prog metal car nous en avions marre d’être considérés comme un groupe de pop pour tapettes !

Mais une fois que l’on a digéré les éléments plus heavy du disque, on y retrouve également clairement ce qui constituait les albums classiques de Toto à travers l’importance donnée aux claviers. Notre but principal était quand même de réveiller tout le monde. Et j'aime vraiment toutes les chansons, ce sont toutes mes enfants. En fait, je suis surtout content que pas mal d'idées hard rock voire metal ait été exploitées sur l'album.

A l’avenir, est-ce que vous allez chercher à surenchérir au niveau des riffs heavy et des constructions progressives ? Ou bien allez-vous chercher à surprendre différemment ?
Nous avons passé dix mois à travailler sur cet album et nous allons partir en tournée pendant deux ans. Par conséquent, je ne peux même pas commencer à penser à quoi le prochain album ressemblera (rires).

Comme d’habitude avec Toto, il y a plusieurs chanteurs qui se relaient sur Falling In Between. Comment avez-vous décidé de la répartition des lignes vocales ?
La plupart du temps, nous n’y réfléchissons même pas. C’est une évidence car nous avons toujours fonctionné comme cela. Parfois il y a trois chanteurs dans un même morceau. Nous sommes un des seuls groupes qui possède plus d’un chanteur. Falling In Between a été écrit collectivement et souvent lorsque quelqu’un composait une section d’un titre, il demandait à un autre membre du groupe de chanter, juste pour voir.

Je me rappelle souvent avoir demandé à Greg (Phillinganes) de chanter sur ce que j’avais écrit car je trouve qu’il est très bon. C’est une bonne recrue pour le groupe car son jeu de claviers est excellent. Tout ça pour dire que nous fonctionnons à l’instinct, et que nous ne nous prenons pas trop la tête là-dessus.

Penses-tu que par le passé vous avez fait des choix peu judicieux sur certains morceaux, en ce qui concerne la répartition les lignes de chant ?
J’ai des tonnes de regrets dans la vie mais ils ne sont pas liés à Toto (rires). Non, sérieusement, nous n’y pensons plus. Nous avons toujours fait ce qui nous semblait bon. Si ça sonne bien, nous gardons et si ça sonne mal, nous essayons avec quelqu’un d’autre.

Avant la parution de l’album, nous avons pu entendre le single Bottom Of Your Soul. Comment avez-vous choisi ce morceau ? Cet album n’est pas vraiment « radio friendly »…
Ce titre était le choix le plus évident, à mon avis. C’est très difficile de faire passer quelque chose de plus heavy à la radio. Tout le monde nous a conseillé de faire une version raccourcie de Bottom Of Your Soul pour promouvoir l’album auprès des radios et du public. Personnellement, je suis très mauvais pour choisir les singles. Mon avis est systématiquement l’inverse de ce qu’il faudrait faire.

Le titre dans lequel je croyais le plus n’est même pas sur l’album, finalement (rires). Il y a tellement de goûts différents dans la musique que Bottom Of Your Soul pourra déplaire à certains tout en faisant plaisir à d’autres. C’est très étrange. En tout cas, les radios passent Bottom Of Your Soul et les critiques sont très positives. Il y a clairement un bon buzz autour de cet album ce qui signifie que notre maison de disques fait du très bon boulot.

En revanche, je tiens à préciser que nous n’avons pas essayé d’écrire de singles pour Falling In Between. Notre but était simplement de faire un bon album rempli de musique que nous aimons. S’il y a une chanson qui plaît au public, tant mieux. Mais pour un groupe comme nous, c’est très difficile de se tailler une place à la radio. Toutes les stations ciblent les adolescents : nous nous retrouvons en compétition frontale avec Mariah Carey ou toute la scène hip-hop.

Dans ces conditions, que quelqu’un passe une chanson de l’album -n’importe laquelle- est déjà une belle victoire. Après nous savons que nous pouvons compter sur nos fans fidèles qui viendront à nos concerts et achéteront le disque et nous espérons leur faire plaisir.

Toto a passé la plupart de sa carrière chez Sony ou EMI et tu n’as pas toujours été très content de cette situation. Aujourd’hui le groupe a signé chez l’indépendant Frontiers. Avec le recul, qu’est-ce qui été le plus frustrant de faire partie de majors et comment juges-tu la situation actuelle ?
Avant nous étions totalement relégués au second plan car nous ne faisions pas de musique assez commerciale. Nous en avions vraiment marre d’être traités ainsi. Bien que nous leur ayons rapporté trois cent millions de dollars, Sony ne nous a même pas remerciés lorsque nous sommes partis.

En revanche, depuis que nous sommes chez Frontiers, tout va pour le mieux. A titre d’exemple, j’ai donné plus d’interviews que durant les vingt dernières années. Frontiers fait tout ce qu’il est possible pour nous pousser en avant. En plus, il, nous ont fait une offre contractuelle incroyable (rires). Ils ont doublé ce que les autres maisons de disques nous proposaient. Enfin, ce n’est que le début de notre relation ; il faudrait donc que tu me reposes la question à la fin de l’année pour savoir ce qui s’est passé et si nous sommes réellement satisfaits !

Toto a toujours été populaire en France ? Comment expliques-tu cette relation privilégiée que vous entretenez avec vos fans français ?
J’adore la France. C’est un superbe endroit où nous avons des souvenirs incroyables. Il y a beaucoup de jeunes qui apprécient notre musique là-bas. J’imagine qu’ils ont trouvé des vieux vinyles de leurs parents et qu’ils ont été convertis ! Ainsi, notre public est très éclectique en France. Comme les Européens et les Asiatiques en général, les Français sont très fidèles. Ils ne font pas trop attention aux effets de mode. Par conséquent, quand ils aiment Toto, ils nous aiment vraiment ; ce n’est pas un coup de cœur lié à un de nos hits.

Aux Etats-Unis, il est tout à fait possible de rencontrer un succès immense lors d’un album et être immédiablement oublié dès le suivant. Cela nous est même déjà arrivé ! Pour en revenir à la France, avec le nombre de dates que nous avons fait dans ce pays, les gens savant que nous sommes bons sur scène. Ainsi, à chaque fois que nous passons, ils viennent. Car ils sont confiants que nous allons donner de bons concerts. Pareil pour les albums, car ils savent qu’il y aura à chaque fois des choses qui leur plairont dessus.

Tu es donc confiant pour la réussite de votre nouvel album et de votre tournée ?
Oui. Pour Falling In Between, nous sommes d’autant plus confiants que les critiques sont excellentes. Nous avons l’habitude d’être démolis par la presse mais cette fois-ci ce serait plutôt l’inverse, à ma grande surprise.

Nous sommes remontés à bloc grâce à la tournée. Nous sommes plus contents que jamais de faire de la musique. Peu de groupes jouant depuis trente ans peuvent en dire autant et cela nous rend excessivement fiers. Nous ne sommes pas un boys band à la MTV, nous sommes juste un groupe de très bons musiciens passionnés par leur musique et qui veut la promouvoir au mieux. Je suis très heureux de faire partie de Toto. J’ai eu une super vie grâce à cela.

Toto a toujours été intéressé par les différentes possibilités offertes par les évolutions techniques. Y aura-t-il par conséquent un mix 5.1 de Falling In Between ?
Je ne sais pas encore… Ce n’est pas dans nos plans à court terme. Il y aura d’abord un DVD live de notre prochaine tournée. Ce sera tellement énorme qu’il nous faut impérativement en garder une trace visuelle.

La tournée européenne sera en trois actes et je pense que nous enregistrerons le DVD durant notre deuxième passage, à l’automne. Après cela, nous pourrons penser à notre trentième anniversaire où nous souhaitons ramener tous les anciens membres du groupe avec nous sur scène. Il faudra bien s’organiser mais cela risque d’être énorme.

Je sais que tu t’intéresses à la jeune génération de groupes de rock/metal et que tu aimes particulièrement The Mars Volta et Children Of Bodom. A quand ces groupes en première partie de Toto (rires) ?
Ce serait une mauvaise idée (rires) bien que j’apprécie effectivement ces deux groupes. En revanche, nos fans ne les aimeraient sans doute pas et les leurs nous détesteraient aussi. Ce serait donc une mauvaise affiche. Pour ma part, j’apprécie tous les genres de musique.

Il faut reconnaître que majoritairement, le metal intéresse les jeunes donc cette affiche ne marcherait pas, à mon avis. Nous arrivons quand même à intéresser des métalleux car nous sommes de bons musiciens. Certains se déplacent pour voir Simon Phillips, d’autres pour moi etc. Certains fans de rythm’n’ blues viennent aussi pour Greg Phillinganes. Comme le dit le titre de notre dernier album, nous oscillons toujours entre deux styles de musique. Mais dans nos têtes, nous sommes aussi quelque part entre un ado de quinze ans et un vieux de soixante-quinze ans !

Peux-tu nous dire où en est le coffret de raretés et d’inédits promis depuis 1999 ?
Vraisemblablement, il ne vera jamais le jour. C’était dans notre contrat avec Sony Music mais ayant sorti Toto XX, qui contenait déjà beaucoup d’inédits et de rareté,s je crois que cela n’aurait plus beaucoup d’intérêt.

Quant à faire un véritable coffret, cela ne me paraît guère réalisable dans l’immédiat. Pour proposer de bons inédits, il faudrait aller fouiller dans les archives et cela représente un travail monumental qu’aucun de nous ne pourrait réaliser dans l’immédiat à cause de la longue tournée dans laquelle nous nous engageons. Il n’y aurait que David Paich, qui ne nous accompagne pas sur la route, qui pourrait s’en charger mais je ne crois pas que cela figure parmi ses projets…

Est-ce que tu penses participer à un G3 un jour ?
J’aimerais beaucoup. Pour le moment ça ne s’est jamais fait en dépit de rumeurs. Je suis un fan de ces tournées mais Joe Satriani ou Steve Vai ne m’ont encore jamais invité. Je sais que ce sont des tournées qui coûtent très cher à monter, ce qui peut-être explique cela…

Le site de Steve Lukather :
http://www.stevelukather.net

Publié dans le magazine N° 15 de Mars 2006


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